Le handicap évalué par l’interaction sociale : contributions d’une relecture d’Erving Goffman

DOI : 10.56078/cfla_discapacidad.292

Traduit de :
Deficiência avaliada pela interação social: contribuições a partir de uma releitura de Erving Goffman

Résumé

Ces dernières années, les sciences sociales ont perfectionné la compréhension du handicap en dépassant le déterminisme biomédical, pour l’expliquer comme une construction sociale découlant de la relation entre le corps et son environnement. Cela s’est produit dans le domaine des études sur le handicap (disability studies), dans le cadre du paradigme connu sous le nom de modèle social, dont la conception centrale soutient que l’ordre capitaliste impose des barrières à la diversité corporelle. Avant le modèle social, la pensée sociologique d’Erving Goffman a contribué à la réflexion sur l’interaction et le corps dans les situations sociales quotidiennes. Je considère que la théorie de Goffman, bien que classique et nécessitant quelques ajustements aux hypothèses critiques du modèle social, favorise avant tout une évaluation du handicap du point de vue de l’interaction. J’utilise la méthode du cadrage ou de l’analyse du cadre (frame analysis), basée sur mon expérience en tant que professionnel de l’évaluation du handicap et de la recherche sur les études critiques du handicap, et j’essaie d’étudier la possibilité d’utiliser la théorie de Goffman pour caractériser le handicap d’un point de vue biopsychosocial. J’analyse de manière critique les concepts d’interaction en face à face, de façade, de coprésence, d’expression corporelle, d’implication, de stigmatisation et d’impropriété situationnelle, qui, ensemble, peuvent fournir un arsenal analytique aux professionnels pour analyser la relation dynamique entre les corps, les différences et les contextes dans l’acte d’évaluation, en dialogue avec le modèle social.

Plan

Texte

Alors, comment s’atteler à la tâche ardue de la compréhension de la totalité ? La première notion à garder à l’esprit est que la connaissance présuppose l’analyse, et la deuxième notion essentielle est que l’analyse présuppose la division. D’où l’intérêt de comprendre le processus de division de la totalité (Milton Santos, A natureza do Espaço, 1996, p. 75).

Introduction

Dans son discours inaugural posthume en tant que président de l’American Sociological Association, publié plus tard sous forme d’article en 1983 dans l’American Sociological Review, Erving Goffman déclare que sa principale contribution à la sociologie est l’étude de la « situation sociale en tant qu’unité de base de l’interaction sociale. Et c’est d’ailleurs ce qui justifie l’affirmation selon laquelle notre expérience du monde a un caractère conflictuel » (Goffman, 2019, p. 578). Pour de nombreux détracteurs de la théorie goffmanienne, cette affirmation peut sembler contradictoire, car son approche a été considérée par certains comme dénuée de critiques des déterminants macro-structurels de la société, ainsi que d’un empirisme limité, antidogmatique en termes d’implications plus directes entre l’ordre de l’interaction, son élaboration la plus originale et centrale dans sa pensée, et les facteurs structurels déterminants (Gastaldo, 2008). Ces déductions sont souvent tirées de lectures quelque peu hâtives de ce que l’on appelle les « big three », l’ensemble de ses trois livres principaux : The Presentation of the Self in Everyday Life (1957), Asylums : Essays on the Social situation of Mental Patients or other inmates (1961) et Stigma : Notes on the Management of Spoiled Identity (1963). Cependant, à partir du cadre plus général de son élaboration théorique, il est possible de percevoir dans la perspective méthodologique de l’analyse des cadres, systématisée seulement en 1974 (Goffman, 2012 ; Nunes, 1993), une théorie plus interrogative avec plus de possibilités d’approches critiques de la société.

Outre les livres mentionnés ci-dessus, dans Behavior in Public Places, 1963, Interaction Ritual : Essays on Face-to-Face Behavior, 1967, et enfin Frame analysis : An essay on the organization of experience, 1974, traduits tardivement au Brésil en 2010, 2011 et 2012 respectivement, Goffman présente une élaboration théorique complexe avec des possibilités d’analyse sur les règles et les conditions d’implication dans les situations sociales qui guident les comportements et les formes d’interaction entre les individus (Martins, 2008 ; Nunes, 1993). Un travail qui échappe à toute tentative d’affiliation tacite à des écoles sociologiques telles que le fonctionnalisme, la phénoménologie, l’ethnométhodologie, l’individualisme méthodologique, le structuralisme et même l’interactionnisme symbolique auquel Goffman ne souhaitait pas être réduit (Martins, 2008 ; Verhoeven, 1993). Surtout, avec une précision méthodologique et analytique, il s’est distancié des psychologismes qui auraient pu imprégner ses contributions, clairement ancrées dans le champ des sciences sociales.

Selon Carlos Benedito Martins (2008), Goffman a souligné que les conditions situationnelles et institutionnelles affectent, informent et circonscrivent les actions sociales dans le temps et l’espace. C’est-à-dire que le tissu interactionnel doit tenir compte de l’existence de situations sociales spécifiques dans lesquelles les individus sont physiquement présents, développent leurs comportements, interprètent et répondent aux actions requises par les autres participants impliqués dans ce processus. En d’autres termes, l’ordre interactionnel n’est pas seulement une production locale, mais concerne toute la société (Nunes, 1993). Les situations sociales spécifiques expriment une réalité singulière, constituant ainsi l’unité de base de l’ordre d’interaction et le terrain social où elle se déroule effectivement (Martins, 2011). De ce fait, l’interaction entre les individus dans les moments de face-à-face, largement étudiée par Goffman, assume une composante centrale de ce que l’on pourrait décrire comme l’interaction plus large de l’individu avec la société.

Trois concepts relatifs aux unités sociales de base ont été élaborés par Goffman et utilisés pour constituer ce qu’il a appelé l’ordre d’interaction ou l’ordre interactif : l’engagement face à face (une rencontre dans laquelle le centre d’attention est unique et mutuellement obligatoire pour les individus physiquement présents), le rassemblement social (des occasions dans lesquelles deux personnes ou plus sont conscientes de la présence de l’autre) et la situation sociale (un environnement de possibilités au sein d’une occasion sociale, dans lequel l’individu aligne son comportement sur ce qui se passe ainsi que sur les exigences et les attentes des personnes présentes) (Goffman ; 2010, 2011). Chaque occasion sociale a un ethos, « une structure émotionnelle qui lui est propre » (p. 29), qui est créée, maintenue et reproduite par les individus (Goffman, 2010). En d’autres termes, la vie sociale se développe au quotidien à partir de relations en face-à-face soumises à la régulation par les individus (Goffman, 2010 ; Sheff, 2006).

Lorsque les engagements dans des situations de coprésence physique cadrent l’interaction, la fragilité, la précarité et l’instabilité de ces interactions sont mises en évidence. En particulier lorsque quelque chose ne correspond pas à la trame interactionnelle, des situations que Goffman appelle des impropriétés situationnelles, qui peuvent même causer de l’inconfort, de l’embarras, de l’anxiété, du dégoût, du retrait, de la peur, de la honte et de l’humiliation (Goffman, 2010 ; Martins, 2008 ; Martins, 2011). Des idées originales sur ces émotions ont été construites dans la philosophie contemporaine par Martha Nussbaum (2006) dans Hiding from Humanity – Disgust and Shame in the Law et par Charles Taylor dans The Sources of the Self : The Making of the Modern Identity (1997) et dans The Politics of Recognition (2000). C’est sur ces points que la théorie sociologique de Goffman permet d’aborder les approches potentielles de la question du handicap, au-delà de la construction classique des jugements dépréciatifs sur les difformités physiques présentes dans son ouvrage Stigmate de 1963 [1980], l’un de ses livres les plus connus et les plus utilisés pour aborder la question du handicap.

En outre, les sciences sociales ont récemment adopté une approche qui explique le handicap comme le résultat d’une interaction entre les individus et la société, et pas comme une propriété strictement individuelle et confinée au corps, comme on l’a longtemps conçu. L’histoire du handicap est marquée par la place inférieure qu’ont occupée (et qu’occupent encore) les personnes présentant des différences physiques, mentales, psychosociales, intellectuelles ou sensorielles dans leur corps. Cette infériorisation a été principalement générée par le modèle médical, qui a produit de manière décisive le corps handicapé comme un corps anormal.

Le corps monstrueux des xviiᵉ et xviiiᵉ siècles, le corps anormal des xixᵉ et xxᵉ siècles, « interrogent la vie dans le pouvoir qu’elle a de nous apprendre l’ordre » (Canguilhem, 1991, p. 171). Le corps anormal et handicapé du xxᵉ siècle est un être vivant de valeur négative. C’est l’anormalité et non la mort qui constitue la contre-valeur vitale (Canguilhem, 1991). Le corps anormal, le corps handicapé, est toujours l’exception qui confirme la règle (Courtine, 2009). Mais l’anormalité du corps urbanisé du citoyen réaffirme, dans une sorte de miroir inversé pour la société, non seulement le corps sain et normal : elle confirme pour longtemps l’autorité de la médecine elle-même comme champ de savoir/pouvoir dans sa promesse disciplinaire de guérison, de correction et de réadaptation.

C’est pour contrer cette hégémonie de la médecine – qui, pendant plus de deux siècles, a expliqué et simulé la guérison du corps handicapé – qu’un mouvement politico-universitaire a vu le jour à la fin des années 1970. Ce que l’on appelle le modèle social a été chargé de soustraire le corps handicapé à la subalternisation produite par la médecine et de le replacer dans la régularité de la vie dans sa diversité, en transférant sur les arrangements sociaux l’impératif de traiter les demandes des personnes handicapées avec équité (Barton & Oliver, 1997 ; Barnes et al., 2002). Le handicap devient une construction sociale fondée sur des contraintes sociales liées aux différences corporelles. Et la société devient responsable de ne pas laisser la singularité du handicap devenir un motif de traitement inégal, injuste et discriminatoire des personnes qui en font l’expérience (Diniz ; Barbosa & Santos, 2009).

En 2015, pour reconnaître les droits des personnes handicapées, le Brésil a adopté la loi 13.146, sous le nom de Loi Brésilienne pour l’Inclusion des Personnes Handicapées (LBI), qui détermine que l’évaluation du handicap devrait se faire dans une perspective biopsychosociale, de manière multiprofessionnelle et interdisciplinaire (Brasil, 2015). Des approches similaires ont déjà existé au Brésil, au moins dans les politiques d’Assistance Sociale depuis 2009, et dans les politiques de Protection Sociale et de Santé un peu plus tard. L’une des principales lignes directrices de cette évaluation est la Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF), publiée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en 2001 et traduite au Brésil en 2003. Après plus de deux décennies, l’OMS a intégré les perspectives sociales et les facteurs environnementaux qui influencent la définition du handicap dans un catalogue international de la santé, dans un dialogue prometteur avec les postulats du modèle social. La CIF est présente dans les deux évaluations déjà réalisées au Brésil depuis 2009, dans les domaines de la Sécurité Sociale et de l’Assistance Sociale, et est également évoquée à l’article 2o de la LBI pour d’autres droits qui doivent encore être réglementés.

Le précepte juridique établissant les critères d’évaluation à l’article 2o de la LBI est entré en vigueur en janvier 2018. Cependant, il n’a pas encore été réglementé. Le retard dans la réglementation de l’article 2o peut s’expliquer en partie par les turbulences politiques et institutionnelles qui ont eu lieu au Brésil depuis 2016 et par les disputes narratives sur la manière de réglementer cette évaluation, qui se limitent à des débats d’ordre médical et social (Caribé, 2022 ; Nunes et al., 2022).

Bien qu’elle soit pionnière, utilisée depuis quatorze ans dans le pays, et également reconnue pour son potentiel de dépassement du modèle médical (Sabariego, 2017 ; Santos, 2016 ; Di Nubila et al., 2011), l’évaluation interrelationnelle s’inspirant de l’approche biopsychosociale de la CIF reste un défi pour les professionnels, notamment en ce qui concerne l’ancrage de leurs procédures techniques dans le cadre théorique du modèle social (Bickenback et al., 2015 ; Cieza & Stucki, 2008 ; Dutra et al., 2016 ; Moura et al., 2017). Alors que la CIF innove en proposant une perspective interactionnelle et multidimensionnelle pour la prise en compte des contextes de santé, l’évaluation du handicap est une procédure complexe dans laquelle l’utilisation d’instruments biopsychosociaux doit être alignée sur des attitudes professionnelles plus liées à l’interdisciplinarité et à une vision du handicap du point de vue de la totalité de la réalité sociale (Altman, 2000 ; Santos, 2022). Une alternative à cette approche pour aider les professionnels au moment de l’évaluation, consisterait à utiliser des approches théoriques alignées sur des conceptions critiques du modèle social.

Cet article1 soutient que la théorie d’Erving Goffman peut apporter une contribution à cet égard. Bien que l’ouvrage Stigmate soit considéré comme le moteur du débat sur le handicap dans le domaine des sciences sociales (Brogna, 2009 ; Brune et al., 2014), Goffman est souvent cité par les théoriciens du modèle social sous une perspective critique, dans laquelle ils soulignent les limites de ses approches et de ses élaborations conceptuelles pour s’adapter aux fondements du modèle social - ceux qui annoncent le handicap comme une construction sociale basée sur des environnements mal préparés à la diversité corporelle (Abberley, 2005 ; Finkelstein, 1980, 1996 ; Oliver, 1992, 1994 ; Picollo & Mendes, 2012)2. En critiquant la théorie goffmanienne, de nombreux auteurs du modèle social dénoncent l’individualisme méthodologique de son approche, son empirisme et ses conséquences limitées. Ils lui reprochent une perspective phénoménologique et, surtout, d’avoir négligé les déterminants sociaux et culturels de l’ordre capitaliste en tant que producteur de handicaps et d’oppression, en plus des interactions plus micro-ordonnées, voire psychologisantes (Abberley, 2005 ; Finkelstein, 1980, 1996 ; Joseph, 1998). En outre, les critiques reprochent à Goffman de réduire les expériences des personnes handicapées à un état de dévalorisation sociale, en validant le statut d’infériorité plutôt qu’en indiquant des moyens de le surmonter (Scully, 2010). Ces lectures de Goffman par les auteurs des études sur le handicap ne sont toutefois pas exemptes de controverse et certains auteurs les contestent (Abrams, 2014 ; Coleman-Fountain & McLaughlin, 2013 ; Darling, 2019 ; Ferrante, 2020 ; Titchkosky, 2000), de sorte qu’il convient de les examiner plus attentivement.

L’objectif de cet article est de procéder à une analyse critique de la théorie d’Erving Goffman. Il s’agit de l’étudier en tant qu’approche potentielle dans le cadre du modèle social pour guider les évaluateurs au cours du processus de caractérisation du handicap dans une approche biopsychosociale, en la considérant comme une condition préalable à l’identification des sujets potentiels ayant des droits. La caractérisation du handicap sur la base des principes du modèle social exige à la fois des pratiques et des attitudes professionnelles, ainsi que des instruments et des approches qui favorisent la conception du handicap comme le résultat de barrières imposées à l’interaction sociale dans des contextes mal préparés à la diversité corporelle. Ceci est important pour donner une place centrale à une conception du corps qui ne se réduit pas à ses aspects biologiques, mais qui est une instance dont l’interaction sociale dépendra et qui produira des effets tout en structurant et en légitimant certains principes, valeurs et règles de cette même interaction. A son tour, l’utilisation du modèle interactionnel et multidirectionnel de la CIF s’avère complexe pour guider une évaluation fidèle à ses hypothèses.

Pour atteindre cet objectif, j’analyse en premier lieu les fondements qui constituent une évaluation biopsychosociale et les défis dans la caractérisation des personnes éligibles à la reconnaissance des droits, en la traitant comme un cadre dans le concept de Goffman. Ensuite, dans un second temps, je relie les principaux concepts de la théorie goffmanienne (rencontre, expression corporelle, interaction face à face, coprésence, implication, situation sociale, stigmatisation et inadéquation situationnelle), en évaluant de manière critique la pertinence de leurs hypothèses et de leurs conséquences, dans un rapprochement de la proposition clé goffmanienne d’ordre d’interaction avec les préceptes du modèle social. Je me suis efforcé de localiser, dans l’évaluation du handicap selon l’approche biopsychosociale, la caractérisation de la situation sociale d’interaction entre l’évaluateur et la personne évaluée selon les termes de Goffman. Cela afin de tester les limites des hypothèses du modèle social et de la perspective biopsychosociale.

Ensuite, dans un troisième temps, je reviens aux concepts de Goffman pour évaluer également les possibilités offertes par ses théories et les ajustements nécessaires à l’approche critique du modèle social. J’ai essayé d’échapper à l’éclectisme théorique, en utilisant les propositions conceptuelles de cette théorie pour enrichir les approches du modèle social à partir d’une perspective dialectique de la totalité, comme le souligne Milton Santos dans l’épigraphe qui ouvre cet article et qui, par conséquent, conçoit le handicap comme une inégalité dans une position éthique et politique qui envisage le changement social, dans les termes de Florestan Fernandes (2008).

Enfin, dans un quatrième temps, je présente comment l’utilisation de l’approche théorique goffmanienne dans le processus d’évaluation peut favoriser une pratique d’évaluation ancrée dans une conception du handicap comme une interaction avec des barrières sociales, qui provient du paradigme émancipatoire du modèle social, mais qui favorise également les approches du handicap fondées sur la reconnaissance des droits de ce public.

La méthode de cadrage ou des cadres de l’analyse

Afin de comprendre l’apport de la théorie de Goffman dans l’étude du handicap, en particulier à son évaluation et à sa caractérisation dans une perspective biopsychosociale, en analysant sa pertinence, ses limites et ses possibilités théoriques, j’ai essayé d’utiliser la méthodologie développée par l’auteur lui-même, celle des cadres d’analyse, du cadrage (Goffman, 2012 ; Mendonça & Simões, 2012 ; Entman, 1993). En d’autres termes, la méthode de Goffman est ancrée dans les cadres de signification qui modèlent les interprétations et les actions des acteurs impliqués dans des interactions en face-à-face - le noyau central de l’ordre de l’interaction (Mendonça & Simões, 2012). Daniel Cefaï (2007) va plus loin : pour lui, l’analyse des opérations de cadrage est inséparable de l’analyse des situations dans lesquelles elles se déroulent. La situation sociale ne doit pas seulement être pensée comme le résultat d’objectifs stratégiques, puisque l’analyse du cadrage concerne l’organisation de l’expérience en situation (Cefaï, 2007).

Mais que sont les cadres chez Goffman ? Selon l’auteur, un cadre est un ensemble de principes organisationnels qui régissent les événements sociaux et l’implication subjective des acteurs dans ces événements (Goffman, 2012). Il s’agit d’une structure de significations délimitée de manière procédurale par la rencontre de sujets dans une situation (Mendonça & Simões, 2012). Ce sont ces principes des cadres qui permettent aux sujets de définir la situation, c’est-à-dire que dans chaque situation, les individus doivent comprendre quel est le cadre qui la façonne et, par conséquent, quel positionnement ils doivent adopter lorsqu’ils s’engagent dans des juxtapositions, des alignements et des transformations. Par conséquent, les cadres ne sont pas inventés par les sujets, mais ils sont activés dans l’interaction, surtout pour soutenir la communication, à condition, donc, qu’elle soit fondée sur l’existence de significations partagées capables de maintenir la disponibilité et la réflexivité parmi les acteurs qui soutiennent l’interaction (Mendonça & Simões, 2012).

Goffman ne se contente pas de définir, mais travaille avec les propriétés qui composent les cadres, en commençant par la définition des cadres primaires (ceux dont l’application est plus élémentaire, immédiate et directe dans une culture en raison de leur littéralité). Un cadre primaire comprend la réserve de connaissances considérées comme acquises sur la réalité et la littéralité d’un certain type d’activité (Nunes, 1993 ; Goffman, 2012). Ceux-ci, à travers les moments d’interaction, sont constamment soumis aux transformations contextuellement requises, que l’auteur appelle stratification, c’est-à-dire l’ajout de nouvelles couches de sens au cadre initial sans en détruire complètement les fondements (Goffman, 2012).

Par exemple, la langue est un cadre primaire de communication. Pour en comprendre la nature et l’occurrence, il faut en connaître les bases constitutives et les applications dans l’orientation des situations. Cependant, si une personne sourde qui utilise la langue des signes doit s’adapter à des gestes précaires face à la nécessité de se faire comprendre par un pompiste qui ne maîtrise pas les signes, cela provoquera une stratification du cadre primaire de la communication, puisque tous deux modifieront leurs compétences langagières primaires. Ainsi, les stratifications offrent de riches possibilités d’analyse des conditions d’interaction des personnes handicapées, en raison des difficultés qui leur sont imposées dans la réalisation de certaines activités (cadres primaires), en fonction des effets des barrières invalidantes des environnements et des interrelations.

L’un des principaux apports de la méthode goffmanienne d’analyse des cadres au sujet du handicap, notamment au moment de l’évaluation dans une perspective biopsychosociale, est qu’elle permet d’articuler l’analyse de l’interaction, l’expérience des participants (évaluateur et évalué) et la dimension de l’expérience de la participation dans des situations sociales données. C’est à ce niveau que la nature de la situation et le contenu de l’interaction peuvent être articulés et rendus accessibles à l’observation, à la description et à l’analyse sociologique (Nunes, 1993). Un cadre n’est pas un simple découpage de la réalité, une simulation miniaturisée, mais il est chargée de significations qui guident les interactions dans chaque situation donnée et qui sont soutenues par l’ordre externe plus général.

L’analyse des cadres implique un ensemble de procédures d’observation/description des situations, basées sur la spécification de dimensions identifiables dans toute séquence d’activité ou épisode d’interaction (Nunes, 1993). Notamment en ce qui concerne ce que Goffman appelle l’ancrage (conditions qui permettent de fixer ou de situer une activité dans l’espace et le temps de l’interaction, mais qui transcendent l’épisode particulier). Le processus d’ancrage est fondamental pour articuler l’ordre de l’interaction situationnelle aux domaines constitutifs de l’ordre social (Goffman, 2012).

En ce sens, cette étude a évalué le contenu d’un ensemble d’analyses relatives au moment de l’évaluation technique caractérisant le handicap aux fins de la reconnaissance des droits, réalisée à l’Institut National de la Sécurité Sociale (INSS) (Entman, 1993)3. Dans la phase d’évaluation, considérée ici comme un cadre en termes goffmaniens, les évaluateurs doivent mener un entretien approfondi avec la personne qui revendique le droit, en utilisant un instrument spécifique, c’est-à-dire un outil technique relatif à chaque domaine : il s’agit notamment d’une connaissance de la législation sociale et de la perspective biopsychosociale présente dans la CIF, d’articuler toutes ces connaissances et techniques pour être en mesure non seulement d’identifier le handicap éligible aux droits, tels que les prestations sociales et de sécurité sociale, sur la base des éléments présentés dans l’évaluation, mais aussi, et surtout, de savoir reconnaître quand une personne n’a pas de handicap selon les principes requis.

Pour Goffman, il existe une relation entre les personnes et les rôles qu’elles endossent dans l’interaction. Cette relation répond au système interactif - ou cadre - dans lequel le rôle est joué (Goffman, 2012), et n’est donc jamais un simple instantané d’expériences plus larges. C’est là que réside la pertinence de cette étude, car il est possible d’examiner à la fois le caractère incomplet du modèle social et de l’approche biopsychosociale, ainsi que celui de l’approche interactionnelle propre à Goffman (Entman, 1993), tout en analysant de manière critique les hypothèses qui les composent.

Évaluer la performance dans la participation pour comprendre le handicap : notes sur l’interaction sociale

L’évaluation du handicap dans une perspective biopsychosociale est un élément important au Brésil depuis 2009 dans le processus de reconnaissance des demandeurs de la Prestation Continue en espèces (BPC) de la politique d’assistance sociale (Brasil, 1993, 2007, 2011 ; Di Nubila et al., 2011 ; Santos, 2016) et, depuis 2014, dans la retraite des personnes handicapées (Brasil, 2013 ; Pereira & Barbosa, 2016) ; elle est également utilisée dans une moindre mesure dans le domaine de la santé depuis le milieu des années 2010. En 2015, la disposition légale de l’article 2 o de la LBI a étendu le modèle à toutes les politiques qui concrétisent les droits des personnes handicapées (Brasil, 2015 ; Santos, 2016), bien qu’il n’ait pas encore été réglementé.

Ce modèle d’évaluation a été mis au point pour identifier les personnes ayant un handicap de longue durée qui ont besoin d’aide et de soutien, notamment des transferts de revenus et des services d’assistance sociale, de prestations et de règles plus équitables en ce qui concerne la retraite des travailleurs handicapés. L’évaluation technique (expertise médicale et assistance sociale) couvre une série de domaines tels que la santé physique, mentale et émotionnelle, les compétences psychosociales, situationnelles et professionnelles. Cette évaluation porte également sur les difficultés et les performances dans les activités quotidiennes, telles que l’alimentation, les soins personnels, la volonté et l’implication dans les interactions interpersonnelles, la communication et la mobilité. Il existe des instruments standardisés basés sur la CIF, dans lesquels les médecins experts et les travailleurs sociaux évaluent les questions des demandeurs de prestations. Ils sont guidés par l’évaluation des impacts sur la fonctionnalité en termes de prise en compte des difficultés rencontrées en raison de l’état de santé.

L’approche biopsychosociale de la CIF vise à décrire les états de santé des personnes dans un modèle interactionnel et multidimensionnel, en tenant compte des effets sociaux et pratiques générés dans la vie des personnes en fonction des états de santé auxquels elles sont confrontées, sans se préoccuper des aspects étiologiques, c’est-à-dire des causes de ces états de santé (CIF, 2003 ; Santos, 2016). La CIF « permet de décrire des situations relatives au fonctionnement humain et aux restrictions qu’il peut subir ; elle fournit un cadre pour organiser cette information » (CIF, 2003, p. 7).

La CIF est divisée en trois éléments, qui sont opérationnalisés à l’aide de qualificatifs, c’est-à-dire d’indicateurs objectifs de la fonctionnalité ou de son absence/affaiblissement. Le premier de ces éléments repose sur les déficiences, les altérations ou les lésions (impairments) dans les structures et les fonctions corporelles. Le deuxième élément est celui des facteurs environnementaux, des éléments extérieurs au corps, mais qui lui sont liés et peuvent avoir un effet sur la fonctionnalité (produits et technologies ; environnement ; soutien et relations sociales ; attitudes ; services, systèmes et politiques). Le troisième est l’ensemble des Activités et Participation, c’est-à-dire une composante à la fois individuelle et collective, qui prend en compte les tâches et les activités pertinentes à réaliser par les personnes dans différents domaines de la vie et leurs implications respectives dans ces activités (apprentissage et application des connaissances ; tâches et exigences générales ; communication ; mobilité ; soins personnels ; vie domestique ; interactions et relations interpersonnelles ; principaux domaines de la vie ; vie communautaire, sociale et civique), ainsi que la difficulté à les accomplir.

Pour la CIF, le handicap survient donc lorsque l’interrelation de ces trois éléments produit des effets négatifs sur les personnes, c’est-à-dire qu’elle a des conséquences restrictives sur la fonctionnalité, ce qui les empêche de participer activement et pleinement à la vie de la société. Dans l’évaluation biopsychosociale de l’INSS pour une prestation sociale, l’expert médical évalue les impacts sur les altérations corporelles (structures et fonctions du corps), la réalisation de certaines activités et l’implication au travers de participations spécifiques (Brasil, 2007 ; Costa et al., 2016 ; Di Nubila et al., 2011). De leur côté, les travailleurs sociaux évaluent le rôle des facteurs environnementaux dans la vie des personnes, ainsi que la réalisation de certaines activités et l’implication dans des participations spécifiques (Santos, 2022). Dans l’évaluation réalisée pour la retraite, l’instrument est l’indice de fonctionnalité brésilien (IFBr) dans lequel seules les Activités et la Participation sont évaluées (Santos, 2016 ; Pereira & Barbosa, 2016), bien que les altérations/blessures corporelles et les facteurs environnementaux soient implicites dans l’évaluation de la performance des activités en raison de la relation dynamique qui existe entre eux.

Bien qu’avancée dans sa perspective de caractérisation du handicap par rapport au modèle médical, la CIF n’a pas été exempte de critiques. Les principaux détracteurs de la CIF, affiliés au modèle social du handicap, sont Tom Shakespeare (2006), David Pfeiffer (2002) et Colin Barnes (2009). Ces théoriciens affirment que le modèle de la CIF ne met pas en évidence les racines culturelles, économiques et sociales du handicap, en mettant l’accent sur le handicap limité au corps, c’est-à-dire sur ce que les personnes ne peuvent pas faire plutôt que sur les ressources et les capacités dont elles disposent (ou dont elles devraient disposer). Ils affirment que la CIF stigmatise et marginalise les personnes handicapées en se concentrant sur les conditions de santé, en mettant l’accent, par exemple, sur la dépendance et les coûts associés à son maintien (Shakespeare, 2006 ; Pfeiffer, 2002). En outre, il est également reproché à la CIF de ne donner aux personnes handicapées que peu ou pas de possibilités d’influencer les politiques publiques et les pratiques sociales, c’est-à-dire que l’accent mis sur la santé individuelle laisse peu de place à la prise en compte du handicap d’un point de vue politique et collectif (Barnes, 2009).

Et c’est précisément sur ce dernier auteur et ses critiques de la CIF que je voudrais approfondir mes réflexions. Je fais ce choix parce que j’ai l’intention d’articuler ces points à une contribution potentielle de l’approche de l’ordre d’interaction de Goffman au modèle interactionnel de la CIF, en l’améliorant.

Parmi ses analyses critiques de la CIF, Barnes (2009) est pessimiste quant à l’accueil chaleureux que le monde académique a réservé à la classification biopsychosociale de l’OMS, car il ne croit guère en sa capacité d’innovation par rapport aux classifications précédentes. Barnes (2009) commence par attirer l’attention sur le fait que, bien que la CIF ait un modèle interrelationnel basé sur les trois éléments et que l’individu ne soit qu’un de ses éléments d’analyse du handicap, pour lui, le manque d’innovation de la CIF est dû au fait que « l’individu reste le point de départ de l’analyse des fonctions et activités corporelles » (Barnes, 2009, p. 106). Il estime que la centralité accordée au facteur individuel est insuffisante pour développer l’élément d’activités et de participation, car son rôle dans le schéma interactionnel a été peu développé, le liant uniquement aux situations personnelles, plutôt que fermement à l’inclusion sociale et politique (Barnes, 2009). De plus, pour lui, bien que la CIF mette l’accent sur les contextes, les moyens de les mesurer sont limités.

Il y a deux manières de répondre à ces points critiques. L’une est plus interne à la nature même du fonctionnement de la CIF et l’autre est externe, dans son lien avec le modèle social. Celle que j’appelle interne concerne la faiblesse attribuée par Barnes (2009) au concept d’activités et de participation, en raison de sa centralité sur l’individu, mettant en avant les aspects individuels et en occultant l’influence des aspects politiques ou collectifs sur les handicaps. Proposé comme un modèle interactionnel et multidimensionnel, rien dans le schéma de la CIF, ni dans ses éléments ni dans son application, ne suggère de partir de ou de se focaliser sur l’individu pour analyser les Facteurs Environnementaux et/ou les Activités et la Participation. Selon l’auteur, ces derniers sont relégués à un niveau secondaire. Pour la CIF, « la fonctionnalité et le handicap d’une personne sont conçus comme une interaction dynamique entre les états de santé (maladies, troubles, blessures, traumatismes, etc.) et les facteurs contextuels » (CIF, 2003, p. 7). Le modèle interactionnel offre de multiples possibilités de paramétrer les manières de considérer le handicap, à partir d’une infinité de combinaisons possibles, sans que les aspects individuels soient nécessairement la ligne de conduite pour l’évaluation (Bickenbach, 2012).

La seconde manière de répondre aux critiques de Barnes à l’égard de la CIF concerne les hypothèses du modèle social. La CIF peut-elle être considérée comme un élément de la grammaire du modèle social ? Est-elle liée - et de quelle manière si c’est le cas - aux études dans le domaine de la sociologie du handicap ? La CIF a-t-elle la capacité de consolider le modèle social ou, au contraire, de renforcer le modèle médical ? Ce sont des questions fondamentales non seulement pour Barnes (2009), mais aussi pour d’autres auteurs qui critiquent la CIF et dont les réponses préconçues sont très probablement basées sur des analyses obliques du rôle d’une classification internationale de la santé et de la manière dont elle dialogue avec les paradigmes et l’épistémologie dans le domaine des sciences sociales. La première réponse à ces questions est que la CIF n’est pas le modèle social et qu’elle n’a pas été créée exclusivement sous son influence. Et elle n’a pas besoin de l’être, même si elle exprime les contenus, les logiques et les perspectives du modèle.

Qu’est-ce donc que le modèle social et quel rôle joue-t-il dans la question du handicap ? Pour réfléchir à ces questions, je me tourne vers un auteur qui peut apporter des éclairages importants. Il s’agit de Michel Foucault et le concept d’épistémè. Dans la pensée de Foucault, l’épistémè désigne l’ensemble des relations qui peuvent unir, à un moment donné, les pratiques discursives qui produisent des figures épistémologiques, à des sciences et éventuellement à des systèmes formalisés (Foucault, 1972). C’est la manière dont se situent et s’opèrent, dans chacune de ces formations discursives, les transitions vers l’épistémologisation, la scientificité et la formalisation, subordonnées l’une à l’autre ou décalées dans le temps (Castro, 2009 ; Foucault, 1972). Il est possible de traduire l’épistémè comme une vision du monde, un a priori historique, une fraction d’histoire commune à tous les savoirs qui imposerait à chacun les mêmes normes et postulats, un stade général de la raison.

Je propose de considérer le modèle social comme la conséquence d’un nouvel épistème pour comprendre le handicap dans la seconde moitié du xxᵉ siècle : celui du handicap comme production sociale. Le modèle social est donc la problématisation politique du handicap transformée en scientificité, à l’aube de la revendication de l’objectivité (Hamraie, 2015) dans le champ des sciences sociales. Selon Amie Hamraie (2015), la structure des modèles compréhensifs sur le handicap nécessite une approche méthodologique qui permet de retracer la persistance des modèles de connaissance, au sein des discours qui se situent en dessous des seuils de positivité, d’épistémologisation, de scientificité et de formalisation. En d’autres termes, il s’agit de se demander sur quelles bases sociales et sur quels espaces d’ordre l’élaboration théorique du handicap a-t-elle été possible dans le modèle social ? Je pars de l’idée qu’il faut concevoir le modèle social en le situant dans un ensemble de conditionnements qui l’ont rendu possible depuis près de soixante ans.

Un nouvel épistème du handicap peut être énoncé car, dans les années qui ont précédé l’émergence du modèle social du handicap, c’est-à-dire avant les années 1970, un ensemble de relations et de faits sociaux ont été établis pour permettre l’émergence de cette nouvelle approche rationnelle. Les principaux facteurs, répartis dans différents domaines, dont le monde académique n’est qu’un parmi d’autres en raison de son caractère formalisé et scientifique, ont été : la réadaptation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour les soldats handicapés, inaugurant le droit à des pratiques de santé pour ce public, quoique dans une perspective de normalisation (Bourke, 1998 ; Brégain, 2018 ; Eldar & Jelike, 2003 ; Lanska, 2016) ; les droits sociaux pour les personnes handicapées, notamment en matière de santé et d’aide sociale, à partir du plan Beveridge en Angleterre, les associant à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’idée de dignité et de lutte contre la pauvreté (Fleischeker, 2006 ; Foucault, 2010 ; Hampton, 2016) ; les nouveaux modèles éducatifs fondés sur l’inclusion et contre la ségrégation (Mantoan, 2006) ; les idées embryonnaires du droit à l’accessibilité et à la mobilité au milieu des années 1970 (Zettel & Ballard, 1979) ; le modèle biopsychosocial en santé, élargissant les compréhensions des déterminants de la santé (Engel, 1977) ; les luttes politiques pour les droits civiques et pour la reconnaissance égalitaire contre les inégalités et l’oppression (Erkulwalter, 2018).

Cet ensemble de relations et de faits a permis de rassembler au cours des années 1970, au Royaume-Uni, les pratiques discursives qui ont donné lieu à la scientificité, à la formalisation et au poids politique concédés au modèle social du handicap. Je suppose ainsi que le modèle social et la CIF expriment tous deux cette nouvelle épistémè du handicap, ce qui rend obsolète toute analyse pour savoir si l’un est plus fort ou plus faible que l’autre pour surmonter les influences du modèle médical, comme le suggère Barnes (2009). Malgré leurs rôles et fonctions différents, les deux sont incomplets, dynamiques et remplis de potentialités, ce qui nous amène à un autre endroit où les critiques nécessaires de la CIF devraient se situer et, dans mon évaluation, j’aimerais proposer qu’elles se situent dans l’instrumentalisation de la perspective interrelationnelle de ses éléments. En d’autres termes, ce qui doit être amélioré, ce n’est pas la composition et l’agencement des éléments de la CIF eux-mêmes, mais la manière dont ils sont interreliés afin d’envisager des situations d’interaction indiquant que le handicap est une restriction de la participation à la société.

À cet égard, les contributions de Goffman sont importantes à prendre en compte, mais la littérature nationale et internationale les a jusqu’à présent négligées. Selon Goffman (2010), l’implication des personnes dans des situations d’interaction implique inévitablement la gestion de la présence corporelle et de l’orientation mutuelle par le corps, ce qui nécessite une attention particulière aux différents canaux de communication, moyens d’expression et autres dispositifs mobilisés dans une situation donnée, tels que la posture, l’attention partagée, la volonté et l’empressement à s’engager.

Goffman affirme ouvertement que l’un des objectifs de son élaboration théorique est de découvrir l’ordre normatif qui opère au sein des unités d’interaction, c’est-à-dire l’ordre comportemental que l’on retrouve dans tous les lieux peuplés, qu’ils soient publics, semi-publics ou privés, et qu’ils soient sous les auspices d’une occasion sociale organisée ou sous les coercitions plus prosaïques d’un simple environnement social routinier (Goffman, 2010). Ce que l’individu mobilise n’est pas seulement sa présence ou son expression corporelle. Il s’agit d’un ensemble de mécanismes qui soutiennent leur capacité à maintenir l’interaction. À son tour, l’interaction répond à un ordre routinier qui est lié à l’ordre social le plus macro, et donc, ce qui finit par empêcher ou favoriser, par exemple, l’interaction des personnes handicapées avec les autres est fondamental pour caractériser leur performance en matière de participation sociale.

La théorie de Goffman ne s’est pas focalisée, en termes sociologiques, uniquement sur ce qui est produit dans la relation entre deux individus, mais aussi sur la mise en évidence des éléments qui constituent ou rendent impossible cette production dans l’ordre de l’interaction. C’est là que se situent les principaux apports à la thématique du handicap dans la perspective, avant tout, de l’approche du modèle social, largement ignorée par la littérature qui s’est acharnée à critiquer Goffman pour la limitation de son concept de stigmate. Le corps, selon Goffman, devient en effet un instrument fondamental de communication et d’interaction, modelé pour exécuter et reproduire certaines règles sociales, identifiées comme des propriétés situationnelles, qui forment des codes non pas moraux, mais capables de régir les pratiques et les ordres des interactions sociales (Goffman, 2010 ; Pitanga, 2012).

Dans une caractérisation du handicap selon l’approche biopsychosociale de la CIF, les niveaux d’exécution d’une activité et d’implication dans des situations de participation à la société sont évalués en fonction des difficultés à les exécuter. Selon Goffman, l’analyse des situations d’implication peut nous amener à comprendre la structure des différentes formes d’interaction sociale (qui, à son tour, considère l’implication comme une activité que l’acteur réalise dans le but d’atteindre un certain objectif ou une certaine fin) (Pitanga, 2012).

Cela signifie que les restrictions et les implications des engagements déployés par les individus sont des conditions de base qui organisent les engagements dans tout environnement social (Goffman, 2010). En ce qui concerne les concepts de la CIF, il ne suffit pas de décrire les facteurs environnementaux externes, ni d’extraire une analyse descriptive des altérations corporelles. Le point central est d’évaluer comment, à travers l’interaction entre tous ces éléments, la personne réalise ou non certaines activités, s’engageant ou non dans un certain niveau de participation, ce qui se traduit par une interaction sociale unique dans chaque cas. Lorsque la personne ne s’engage pas dans l’interaction parce qu’elle est entravée, soit par des facteurs externes, soit par la relation entre l’environnement restrictif et sa présence corporelle, la non-performance selon les termes de la CIF peut être traduite en termes goffmaniens comme des impropriétés situationnelles.

Pour Goffman, dans chaque rencontre entre deux ou plusieurs personnes, se créent des propriétés situationnelles qui exigent de l’attention et, en général, conduisent à l’engagement dans l’interaction lors de rassemblements sociaux, par le langage et la communication, la posture corporelle et le maintien, la réflexivité dans les réponses et la préparation aux relations en face-à-face. Selon lui, « les rassemblements sont d’une grande importance parce que c’est à travers ces événements qu’une grande partie de notre vie sociale est organisée » (Goffman, 2010, p. 250). En d’autres termes, les propriétés situationnelles apparaissent comme des coercitions au moment même où une autre personne entre en scène (Mantovani, 2012). Cela constitue un ensemble spécial de règles pour guider l’individu le long de la ligne que l’on attend de lui dans une certaine situation sociale, en d’autres termes, pour maintenir la façade4. Les « propriétés situationnelles régissent l’attribution de l’implication de l’individu dans la situation » (Goffman, 2010, p. 259).

Ni les approches fondées sur le modèle social ni les analyses de la proposition multidimensionnelle de la CIF n’ont été consacrées à la découverte des éléments qui sous-tendent l’ensemble des dispositions utilisées par les personnes handicapées pour soutenir l’interaction sociale par la réalisation d’activités, ou qui agissent sur elles en les empêchant. Le concept d’activités et de participation de la CIF met en évidence ce que les personnes handicapées peuvent ou ne peuvent pas faire dans des situations pertinentes de leur vie quotidienne, et crée les conditions nécessaires pour caractériser l’effet des barrières sur cette performance. De son côté, la principale élaboration du modèle social, selon laquelle le handicap résulte d’une interaction altérée entre l’individu avec ses différences corporelles et son environnement (y compris les autres individus), ne fournit pas de détails sur la manière dont cette interaction se produit dans les termes élaborés par le modèle lui-même.

Les propriétés situationnelles qui constituent l’ordre d’interaction chez Goffman peuvent servir de lien entre ces deux élaborations et devenir une orientation fondamentale pour caractériser le handicap comme une restriction de la participation à la société. C’est la base de ce lien que je souhaite développer dans la section suivante, sur la base d’analyses de certains des concepts clés de Goffman à la lumière des principes du modèle social et de la perspective biopsychosociale.

Goffman, le corps et l’implication : regards critiques sur l’interaction

Ce n’est que ces dernières années que Goffman a été revisité dans des analyses qui le rapprochent des études émancipatrices du modèle social (Abrams, 2014). Cependant, avant cela, des féministes comme Carol Thomas (2007) avaient déjà souligné que le personnel, le privé et la vie quotidienne devaient être abordés dans les études sur le handicap, sans perdre l’approche matérialiste, en utilisant même le concept goffmanien de stigmatisation. Carolina Ferrante (2020) est allée plus loin. Dans un essai théorique, elle a fait la généalogie du concept de stigmate, pour mettre en lumière les conceptions selon lesquelles le handicap en tant que stigmate nie inexorablement l’humanité des personnes handicapées, produisant une non-reconnaissance sociale (Ferrante, 2020). C’est à la lumière de ces nouvelles analyses sur Goffman dans les études critiques sur le handicap que je vais maintenant l’étudier en tant que potentiel pour les évaluations du handicap dans la perspective interactionnelle de l’approche biopsychosociale.

Dans une caractérisation du handicap à partir d’une perspective relationnelle, le problème n’est pas de rassembler des preuves solides et convaincantes sur les activités que les personnes ne peuvent pas effectuer en raison d’obstacles à leurs dispositions corporelles. Il s’agit d’une tâche cruciale, mais qui n’est pas exactement l’une des plus compliquées d’un point de vue technique. Le plus grand défi dans la caractérisation du handicap à travers le prisme du modèle social et de l’approche biopsychosociale est de pouvoir établir les limites à partir desquelles les présences corporelles et leurs interactions corrélées – ou les difficultés à le faire – passent du domaine des différences individuelles fortuites, des nuances dans l’individuation, à celui des inégalités dans la participation sociale.

À ce propos, Theodor Adorno (1986) nous inspire des réflexions. Pour lui, la dénomination de la différence dans le contexte d’une société marquée par l’exploitation et la ségrégation, dont les causes sont étroitement liées aux relations de domination, devient fausse, en n’apparaissant pas comme une différence, mais comme une inégalité, ou tout au plus, selon Luciene Silva « comme un élément exotique comprimé par la socialisation, dans son aspect le plus régressif, qui est l’adaptation, empêchant progressivement son affirmation » (Silva, 2006, p. 119). Je m’appuie aussi sur le concept d’Avta Brah (2006) selon lequel, pour elle, la différence renvoie à la variété des manières dont les discours spécifiques sur la différence sont constitués, contestés, reproduits et non signifiés (Brah, 2006), en s’éloignant de tout contenu normatif. Dans le cadre d’une évaluation visant à caractériser le handicap, il convient de s’efforcer de ne pas naturaliser les différences en tant qu’effets des macrostructures qui produisent l’inégalité, tout en exigeant une clarté conceptuelle et pratique dans la définition du handicap en tant qu’inégalité.

Les difficultés à voir d’un œil ont des conséquences sur les petites tâches quotidiennes d’un adulte ou d’un enfant vivant en milieu urbain. Cependant, elles n’ont guère d’impact sur les différents domaines de la vie au point que leur pleine participation à la société soit durablement compromise par rapport aux autres. S’il s’agit d’une affection congénitale, qui s’aggrave progressivement, et que la personne vit dans un endroit où la capacité de voir est primordiale, comme une colonie de pêcheurs ou des cueilleurs de noix dans le cerrado brésilien, les performances sont affectées, ce qui a un impact sur la participation sociale. Alors qu’un trouble mental de type schizo-affectif, dont la modulation peut même être obtenue par la personne pendant quelques minutes pour soulager ses symptômes lors d’une interaction brève et inattendue avec une connaissance sur le trottoir du quartier, entraîne toutefois des répercussions significatives dans divers domaines de la vie, tels que les relations interpersonnelles, les soins personnels, l’identification des risques et des blessures pour soi-même, l’humeur engagée, la participation à des domaines clés de la vie tels que l’éducation, le travail et les loisirs. Ainsi que des difficultés d’orientation, de langage et de communication en temps de crise. Ces deux exemples permettent d’établir plus clairement les limites entre les différences et le handicap.

En revanche, les cas de malformation congénitale de l’un des membres supérieurs avec des répercussions anatomiques discrètes, les séquelles d’un cancer du sein ou du palais après une intervention chirurgicale, les affections cardiaques ou pulmonaires ajoutées à l’âge avancé, les diverses conditions de douleur aiguë permanente de la colonne vertébrale associées à des problèmes articulaires, les troubles du développement de l’apprentissage sans déficience intellectuelle associée sont autant d’exemples qui maintiennent une frontière ténue entre les différences et les handicaps. Établir la ligne de démarcation pour des cas comme ceux-ci est un défi pour ceux qui évaluent en s’engageant à respecter les principes du modèle social. Parfois, le simple fait d’étudier les obstacles impliqués dans chaque cas ou dans la réalisation de certaines activités ne fournit pas suffisamment d’éléments pour caractériser le handicap comme une restriction de la participation sociale.

La CIF elle-même résout une partie de ces problèmes en établissant une différence entre capacité et performance (CIF, 2003) pour qualifier les activités et la participation. Le qualificatif de performance décrit « ce que l’individu fait dans son environnement habituel » (CIF, 2003, p. 25). Le qualificatif de capacité « décrit l’aptitude d’un individu à accomplir une tâche ou une action » (CIF, 2003, p. 26). Ainsi, cette deuxième catégorie vise à indiquer le niveau maximal probable de fonctionnalité atteint par la personne dans un domaine donné, à un moment donné. Il est possible d’avoir des problèmes de santé qui, par interaction avec les barrières, ont un impact sur la capacité mais pas sur la performance. Dans d’autres cas, c’est l’inverse qui est possible.

Une femme adulte présentant des séquelles de lèpre sur certains de ses doigts (lésions sur les structures corporelles) peut ne pas voir ses performances affectées lorsqu’il s’agit de tâches générales de base, mais parce qu’elle vit dans une petite ville dont la principale activité économique est le commerce, elle aura un impact sur sa capacité à travailler en raison de préjugés lors de l’embauche en raison du jugement esthétique porté sur son apparence. D’autre part, les personnes souffrant de troubles mentaux aigus (dépression et schizophrénie, par exemple), avec des antécédents d’hospitalisations psychiatriques, peuvent ne pas voir leur capacité d’apprentissage du contenu affectée, mais elles sont jugées sur leur état et ont des difficultés à être performantes dans les domaines des soins personnels, des relations interpersonnelles et du monde du travail. Si la CIF est utilisée pour caractériser des situations d’inégalité auxquelles il faut remédier par des lois et des services, il est recommandé de procéder à une évaluation en utilisant la catégorie des performances. En revanche, si l’utilisation de la CIF consiste à cartographier une variété de conditions afin de favoriser le développement d’actions publiques visant à prévenir l’aggravation des conditions de santé et des handicaps, ou à évaluer les enfants handicapés, l’utilisation de la catégorie des capacités peut s’avérer plus judicieuse.

L’autre partie non résolue des dilemmes susmentionnés entre les limites ténues entre les différences et les handicaps concerne la manière dont se produit spécifiquement l’interaction entre les dispositions corporelles et les facteurs environnementaux. Comme indiqué dans la section précédente, la CIF innove dans l’agencement de ses trois concepts (altérations corporelles/incapacités, facteurs environnementaux et activités et participation). Toutefois, elle manque de précisions sur la manière de percevoir l’interaction de cette triade d’éléments dans la vie quotidienne des personnes. L’analyse des éléments qui favorisent ou entravent la transformation des ressources et des choix sociaux et économiques en performances pertinentes par une personne, ce qui peut ou non conduire à la participation sociale en s’attaquant aux obstacles, peut être facilitée par le concept goffmanien de l’ordre d’interaction, dans sa relation avec les impropriétés situationnelles. Mais d’abord, il faut réfléchir un peu plus au concept d’implication, à la fois dans l’œuvre de Goffman et parmi les catégories de la CIF elle-même.

L’évaluation de l’impact des facteurs environnementaux, sociaux et culturels imposant un ensemble de restrictions sur les dispositions corporelles dans le cadre de l’interaction permet de déterminer si une personne est capable de s’engager dans des activités et, par conséquent, si elle interagit régulièrement, si elle interagit de manière altérée ou si elle n’interagit pas socialement dans le cadre de performances pertinentes. La transition à travers cette gradation et les subtilités qui délimitent chacune de ces phases créent un continuum d’engagement qui est dynamique et variable dans chaque contexte, en fonction de la relation entre les dispositions corporelles et les contraintes contextuelles par des facteurs restrictifs, tels que les barrières externes. C’est en raison de la constitution de ce continuum qu’il n’est pas possible de caractériser une personne comme ayant un handicap uniquement sur la base de ses altérations corporelles (diagnostics), ni par l’ensemble des barrières auxquelles elle est confrontée (facteurs externes). Mais surtout, il est nécessaire d’évaluer spécifiquement l’impact de l’interrelation de ces différents facteurs sur les conditions d’exécution des composantes de l’interaction sociale. Car, comme l’affirme Carolina Pitanga (2012), l’analyse des situations d’implication de Goffman peut nous amener à comprendre la structure des différentes formes d’interaction sociale.

Pour la CIF, l’implication dans les situations de la vie quotidienne est ce qui mène à la participation (CIF, 2003, p. 21). En d’autres termes, il s’agit d’une condition préalable ou d’un critère de participation à la société. Dans cette perspective, le handicap serait donc la somme des impacts restrictifs produits lors des implications dans les activités, conduisant les personnes à avoir une participation sociale altérée. Dans la note explicative n° 14, la CIF précise que certaines définitions proposées de l’implication pourraient être « le fait de prendre part, d’être inclus ou de participer à un domaine de la vie, d’être accepté ou d’avoir accès aux ressources nécessaires. Cela ne signifie pas que la participation est automatiquement assimilée à la performance » (CIF, 2003, pp. 25-26). Bien que le qualificatif de performance décrive ce que l’individu accomplit réellement dans son environnement habituel, ce qui inclut le contexte social et les facteurs environnementaux, la performance peut également être comprise comme « l’implication dans une situation de vie », ou « l’expérience vécue » par les personnes dans le contexte réel dans lequel elles vivent (CIF, 2003, p. 25). Ainsi, la CIF ne définit pas ce qu’est l’implication, se contentant de relier sa fonction à la performance et à la participation. Mais qu’est-ce que l’implication dans une activité dans une perspective biopsychosociale ? Comment la situer dans le cadre du modèle social sans renforcer une approche corponormative ? Car il s’agit d’une dimension potentielle pour caractériser l’interaction sociale et, par conséquent, le handicap en tant qu’inégalité de participation à la société.

Je commence à répondre à ces deux questions par une intuition basée sur deux extraits de la CIF elle-même. Le premier est le suivant : « les informations reflétant le sentiment d’implication ou de satisfaction de la personne à l’égard du niveau de fonctionnalité ne sont pas actuellement codées dans la CIF » (CIF, 2003, p. 254). Plutôt que d’extraire de ce passage que le texte de la CIF est probablement parti de l’idée que l’implication avait une composante en quelque sorte circonscrite à l’individu, comme le suggère l’expression « sentiment d’implication », le passage souligne le fait que l’implication est un fait objectif, perceptible et mesurable par la CIF, bien qu’il n’ait pas encore été détaillé. Je voudrais donc soutenir que la caractérisation des situations d’implication est un élément central pour établir les critères de l’interrelation entre les dispositions corporelles et les facteurs environnementaux et contextuels, représentés par les barrières - exactement le principe central du modèle social.

La deuxième section de la CIF traite de l’implication, sans toutefois en définir le contenu, lorsqu’elle parle des facilitateurs. Il s’agit de facteurs environnementaux qui, par leur action, améliorent la fonctionnalité d’une personne et réduisent son handicap (CIF, 2003). Il s’agit d’aspects tels que l’accessibilité de l’environnement physique, la disponibilité de technologies d’assistance appropriées, l’attitude positive des personnes à l’égard du handicap, ainsi que les services, systèmes et politiques publiques visant à « accroître la participation de toutes les personnes ayant un problème de santé dans tous les domaines de la vie » (CIF, 2003, p. 244). À ce stade, la CIF indique que l’implication peut être modulée par des facteurs externes, améliorant la participation des personnes, et qu’elle n’est pas exactement liée à des dispositions corporelles immuables.

Il est important d’approfondir l’idée de continuum de l’engagement, mentionnée plus haut, car il s’agit d’une condition préalable pour avancer dans la compréhension de l’engagement selon Goffman, en dialoguant toutefois avec la perspective du modèle social. Pour Goffman, s’engager dans une activité déterminée signifie « maintenir une certaine forme d’absorption cognitive et affective dans cette activité, une certaine mobilisation des ressources psychobiologiques ; en bref, cela signifie être impliqué dans cette activité » (Goffman, 2010, p. 46). En outre, Goffman précise que si l’on demande à l’un des sujets du comportement situationnel ce qu’il communique et rend disponible à propos de sa manière de s’impliquer, il sera possible de constater que seul un nombre limité de thèmes est mobilisé lors de l’implication. En d’autres termes, l’engagement ne concerne qu’une ou quelques activités spécifiques à la fois, ce qui conduit les sujets à se concentrer sur celles-ci.

Pour Goffman (2010), les interactions en face-à-face sont la catégorie d’événements qui se produisent pendant la coprésence et en raison de la coprésence entre deux ou plusieurs individus physiquement présents. L’engagement, pour lui, « se réfère à la capacité d’un individu à tourner, ou à ne pas tourner, son attention vers une activité disponible - une tâche solitaire, une conversation, un effort de travail collaboratif » (Goffman, 2010, p. 54). Pour Goffman (2010), elle implique une certaine proximité entre l’individu et l’objet de l’implication, une certaine absorption de la part de celui qui s’implique, et elle présuppose également que l’implication dans une activité exprime le but ou l’objectif de l’individu dans la situation et par conséquent dans l’interaction.

Ainsi, l’une des principales contributions de la conception Goffmanienne d’ordre d’interaction à la question du handicap est de créer les conditions permettant de dévoiler les causes et les conséquences de la non-réalisation d’activités et de la non-implication dans des situations sociales. Dans une évaluation biopsychosociale d’un enfant autiste, par exemple, basée sur l’idée que cette condition n’est pas un déficit neurodéveloppemental, mais une singularité de la constitution du sujet (Laurent, 2014), la compréhension du soutien présent ou absent qui contribue à l’interaction et à la réalisation d’activités est fondamentale pour caractériser les restrictions de participation auxquelles ces enfants sont confrontés, ainsi que les moyens de les surmonter ou les stratégies pour vivre avec ces singularités.

Le handicap découle d’un effort collectif. C’est la leçon déjà évoquée de la nouvelle épistémè du handicap et du modèle social. Le problème du modèle médical est qu’il se concentre sur la limitation des altérations corporelles, réduisant la compréhension du handicap à la biologie du corps en tant que déficit, comme s’il avait une stabilité ontologique et pouvait donc subir des modifications matérielles de sa forme et de sa physicalité, comme la médecine et la rééducation l’ont longtemps prétendu. L’une des principales conséquences de ce modèle a été le traitement moral visant à classer les corps comme méritant ou ne méritant pas d’être pris en considération et de faire l’objet d’actions visant à rétablir la santé et, par conséquent, la justice, en raison de la dichotomie de la normalité en tant que réponses individualisées.

D’autre part, le problème de se concentrer uniquement sur les facteurs environnementaux est qu’il produit l’impression erronée qu’il suffit d’éliminer les barrières pour que l’inégalité due au handicap soit complètement éliminée ; un changement dans le monde capacitiste suffit pour que le corps handicapé disparaisse - tout comme il n’est pas vrai qu’il suffit que le racisme disparaisse pour que les Noirs cessent d’exister (Dias, 2013). Cette approche accorde moins d’attention à une dimension importante du traitement social des personnes handicapées : même si elles ne rencontrent temporairement aucun obstacle, dans la matérialité de ce qu’elles ne parviennent pas à faire (performance), à s’engager et à participer potentiellement en raison d’obstacles handicapants (capacité), la société continue de privilégier et de reconnaître les corps non handicapés comme ayant une valeur et une dignité totales, ce qui a un impact direct sur l’implication des personnes handicapées dans des activités qui promeuvent l’interaction et la participation sociale.

L’idée implicite dans l’ordre d’interaction de Goffman présuppose qu’il est structuré sur un code de reconnaissance des individus pour leur dignité. Non pas la dignité dans son sens abstrait ou juridique. Mais de la valeur attribuée aux autres êtres humains et de la défense du soi ou des singularités contre l’affaiblissement des identités sociales (Taylor, 1997), dans un sens pratique de reconnaissance égale et de déférence que les gens nourrissent les uns pour les autres, en particulier dans les situations sociales où ils sont physiquement présents dans des interactions en face-à-face (Filho, 2016). À ce stade, l’implication dans les interactions sociales et la reconnaissance de cette capacité, avec les facilitateurs et les obstacles liés à son exécution, guident le traitement social des personnes handicapées. Selon Martins (2008), dans la mesure où la définition de la situation découle d’un effort collectif, l’unité d’analyse appropriée de Goffman ne repose pas sur l’individu isolé et son appareil psychologique, mais sur les relations construites entre les différentes personnes présentes dans les situations qui soutiennent les interactions.

L’interaction sociale est un élément déterminant de la condition humaine. Georg Lukács (1979), bien que partant d’une perspective théorique avec des objectifs et des méthodes différents de ceux de Goffman, est parvenu à une conclusion similaire lorsqu’il a travaillé sur les interactions sociales ou les actions interactives, selon Ricardo Antunes, en tant que « formes plus complexes de praxis sociale » (Antunes, 1999, p. 140). Lorsque les personnes ne sont pas impliquées dans l’interaction pour une raison ou une autre, les possibilités concrètes de reconnaissance partagée sont compromises, voire éliminées, pour structurer les interactions entre les personnes dans des situations sociales spécifiques. Lorsque nous rapprochons ce concept du sujet du handicap, il révèle un chemin infini de défis à étudier et à révéler par l’ensemble des obstacles qui interfèrent avec les interactions sociales des personnes handicapées en raison des barrières imposées par leur condition.

Je souligne encore l’une des élaborations les plus importantes de Goffman, qui, selon moi, doit être reformulée afin de la rapprocher des hypothèses du modèle social, à savoir le concept de façade. Principalement parce que j’y vois un outil dans cette perspective de reconnaissance de la dignité comme base de l’interaction, comme mentionné plus haut.

Le terme de façade peut être défini « comme la valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement pour elle-même, à travers la conduite que les autres supposent qu’elle a adoptée lors d’un contact particulier » (Goffman, 2011, p. 12). La façade peut être comprise comme une image de soi délimitée en termes d’attributs sociaux approuvés et revendiqués - même si, selon Goffman, cette image peut être partagée, comme c’est le cas lorsqu’une personne fait étalage de ses qualifications et d’elle-même. En d’autres termes, il s’agit d’une sorte d’élaboration visant à souligner l’effort de gestion de l’impression dans l’interaction en face à face.

Si la personne est traitée conformément à ce qu’elle considère comme approprié à sa façade, elle aura tendance à s’impliquer dans la situation et à rendre volontiers la pareille dans ses interactions. Dans le cas contraire, si elle se rend compte que le traitement diffère de ce qu’elle imagine être conforme à sa façade, elle tentera de réaligner ses mouvements, sa posture, ses attributs de communication, d’interagir partiellement ou même d’interdire les possibilités d’interaction. Pour Goffman, « une personne a, est avec ou maintient une façade lorsque la conduite qu’elle adopte effectivement présente une image d’elle-même qui est intérieurement cohérente » (Goffman, 2011, p. 14).

Par préservation de la façade ou travail sur la façade [face-work], Goffman entend les actions entreprises par une personne pour rendre cohérent ce qu’elle fait pour maintenir sa façade dans une coprésence. À la lumière de ce qui précède, Goffman avance dans ses élaborations et je vais reproduire ici un passage important, bien que long :

En tout état de cause, si sa façade sociale est son bien le plus personnel et le centre de sa sécurité et de son plaisir, elle n’est qu’un prêt de la société ; elle lui sera retirée s’il ne se comporte pas d’une manière digne d’elle. Les attributs approuvés et leur relation avec la façade font de chaque homme son propre geôlier ; il s’agit d’une coercition sociale fondamentale, même si les hommes peuvent aimer leur cellule (Goffman, 2011, p. 18).

Goffman a interprété les interactions sociales comme des rituels fondés sur le respect de l’individu. L’utilisation métaphorique du rituel signifie que les individus collaborent les uns avec les autres pour maintenir une sorte de stabilité dans les interactions sociales, guidées par une maxime de respect mutuel (Persson, 2019). Il est toutefois important de considérer le maintien de la façade comme une condition de l’interaction, et non comme son objectif principal. Pour Goffman, « les sociétés, quel que soit le lieu, si elles veulent être des sociétés, doivent mobiliser leurs membres en tant que participants autorégulés à des rencontres sociales » (Goffman, 2011, p. 49). Pour lui, l’un des moyens de mobiliser l’individu à cette fin est la ritualisation des activités, des situations et des interactions. Ainsi, tout au long du processus de socialisation, on apprend à l’individu à être perspicace, engagé, à avoir des sentiments liés au soi exprimés à travers la façade, à avoir de la fierté et de la dignité, à être prévenant et à faire preuve de tact dans les interactions en face-à-face. Goffman a été largement critiqué pour cette approche, pour sa supposée affiliation conservatrice, phénoménologique et psychologisante, dans laquelle il accepte sans critique l’ordre normatif comme immuable, avec peu de place pour questionner les conditions de possibilité de ses éléments (Scully, 2010 ; Persson, 2019 ; Titchkosky, 2000).

Une réponse capable de faire face à ces critiques, selon Goffman, est la capacité générale d’un individu à être limité par des règles morales que « peut bien appartenir à l’individu, mais l’ensemble particulier de règles qui le transforme en être humain est dérivé des exigences établies dans l’organisation rituelle des rencontres sociales » (Goffman, 2011, p. 49). Cette affirmation contient des possibilités d’adaptation aux questions relatives au handicap, si nous le décomposons dans ses dimensions corporelle, relationnelle et d’obstacles.

Cependant, le point que Goffman n’aborde pas, et qui pourrait avoir des implications directes sur d’autres questions d’inégalité sociale, est la manière dont ces « exigences établies » sont construites historiquement. D’où viennent-elles et comment sont-elles consolidées ? Pourquoi les sujets les intègrent-ils et les activent-ils dans les interactions ? En ce qui concerne le handicap, le modèle social a apporté un axiome fondamental à ces questions : c’est l’ordre capitaliste qui impose des exigences (telles que l’autonomie, la productivité, l’engagement et l’indépendance) et celles-ci ont un impact sur la vie des personnes handicapées, se traduisant par des vies inférieures en dignité, vivant sous les contraintes de l’inégalité et de l’oppression. À cet égard, la théorie de Goffman est incomplète, car l’ordre de l’interaction est rendu explicite dans ses effets, mais pas dans ses causes, même si nous essayons d’élargir son champ d’application, ce qui représenterait des limites à partir desquelles d’autres approches théoriques et réélaborations de perspectives devraient être nécessaires, surtout, ancrées dans des analyses empiriques et des recherches appliquées.

Dépasser les dichotomies, renforcer les transitions

À ce stade du texte, la question aurait pu être posée : dans quelle mesure les interactions sociales en face-à-face, ainsi que les barrières qu’elles impliquent, constituent-elles l’ensemble des moments où il devient évident qu’une personne handicapée peut souffrir de restrictions dans sa participation sociale ? Cette question est légitime et découle principalement de la place centrale que j’ai accordée aux interactions sociales dans l’étude jusqu’à présent, en rapprochant la théorie goffmanienne du sujet du handicap dans le cadre d’une évaluation biopsychosociale. Dans la vie quotidienne d’une personne handicapée, dont la participation sociale est restreinte par les barrières qui lui sont imposées, pourrait-il y avoir d’autres situations sociales que des réunions en coprésence, en face à face ? J’aimerais répondre à ces questions dans cette dernière section, tout en m’efforçant de présenter quelques relectures possibles des concepts goffmaniens dans la perspective critique du modèle social.

L’ordre d’interaction de Goffman peut être décrit comme la fraction de l’ordre social responsable des attentes normatives sur la manière dont les sujets vont réguler leur comportement dans les interactions, dans les situations sociales qui remplissent la vie quotidienne dans toute société (Goffman ; 1980). Des leçons de Stigma (1980), je tire ce contenu de caractère corponormatif, selon l’expression actuelle, qui est souvent vu en arrière-plan dans le travail, compte tenu des conséquences des attributs désobligeants vécus par les personnes stigmatisées dans leurs identités (Darling, 2019), ce pour quoi Goffman est devenu connu dans le monde entier. La réalisation d’activités (la fonctionnalité, dans une perspective biopsychosociale pour les personnes handicapées) qui a lieu dans une situation sociale répond donc non seulement aux objectifs et aux implications en jeu, mais aussi à une force extérieure qui lui donne un sens à travers les échanges entre les sujets de l’interaction. L’interaction ne se fera donc pas en réponse à un ordre si le sujet n’est pas impliqué dans la situation et, par conséquent, rend difficile le maintien des situations sociales qui constituent la vie quotidienne. Une grande partie de l’implication des personnes handicapées dans la réalisation des activités constitutives de l’interaction est rendue impossible ou bloquée par des barrières dans l’environnement ou surgies lors de l’interaction elle-même.

Dans le cadre d’une évaluation du handicap, je propose de considérer l’implication comme étant un engagement dans la préparation de l’exécution d’activités ciblées nécessaires à l’interaction, et donc des conditions préalables à la composition de la participation sociale. En dialoguant avec ce concept reformulé, j’aimerais proposer que l’interaction sociale entre les personnes handicapées et d’autres individus, et entre ces personnes et leurs environnements habituels puisse être comprise comme une réflexivité axée sur la réponse aux stimuli et aux attentes sociales, avec une communication et une posture corporelle alignées, capables de maintenir la régulation du comportement pour réaliser des performances qui permettent aux personnes handicapées de participer à la société sur un pied d’égalité avec les autres.

Dans le cas des personnes handicapées, les barrières agissent principalement sur les interactions en face à face, dans les situations de coprésence physique. Les barrières (ou, selon les termes de la CIF, les facteurs environnementaux) sont également actives dans la structure physique, dans les environnements extérieurs aux rassemblements, imposant des restrictions aux personnes handicapées. Dans ces espaces se distinguent les barrières architecturales, urbanistiques et liées au transport. Cependant, afin de faire face à ces environnements extérieurs aux rassemblements sociaux et à leurs barrières, il est nécessaire, dans presque tous les cas, de surmonter d’abord les barrières affectant les interactions sociales en face à face (principalement les barrières de communication, les barrières liées aux produits et aux technologies, les barrières environnementales, les barrières comportementales, l’absence de soutien et de relations, de politiques publiques, entre autres) qui surviennent lorsque les personnes handicapées interagissent avec d’autres individus. Les interactions constituent une grande partie de la réalisation des activités qui conduisent les personnes handicapées à la participation sociale, où les espaces en dehors des rassemblements finissent par être des moyens ou des passages pour l’implication finale des interactions.

Les barrières présentes dans les environnements physiques en dehors des rassemblements sociaux, tels que les bâtiments sans ascenseurs, les feux de circulation sans signaux sonores, les trottoirs qui ne sont pas abaissés et les bus qui ne sont pas accessibles, ne sont en aucun cas moins importantes que les barrières qui surviennent au cours des interactions sociales en face à face. Ils revêtent simplement des caractéristiques différentes, soit parce qu’ils sont évidents et faciles à identifier, soit parce qu’ils sont des moyens pour d’autres activités finales. Il s’ensuit que même les barrières extérieures aux rassemblements sont liées aux interactions sociales, en étant un moyen ou un passage, lorsqu’elles favorisent la disponibilité des personnes handicapées aux situations d’interaction sociale.

Une évaluation biopsychosociale du handicap guidée par les principes du modèle social doit tenir compte de tous ces multiples domaines dans lesquels les personnes handicapées vivent leur vie, tant au sein ou en dehors des rassemblements, car dans tous ces domaines, les personnes peuvent subir les conséquences des barrières qui les empêchent de participer à la société. Fondamentalement, l’aspect le plus novateur du modèle social était l’idée radicale de situer le handicap non plus dans le corps, ni seulement dans l’environnement, comme cela était généralement préconisé dans les premières phases du modèle social, mais surtout dans l’interaction sociale, considérée comme la preuve de la relation entre tous ces éléments. À son tour, la principale contribution de la sociologie de Goffman est révélée par la centralité de l’interaction sociale en tant qu’élaboration théorique structurante de ce qu’est la société elle-même. Selon lui :

Il y a une raison, après tout, de considérer un rassemblement social comme une petite société qui donne un corps à une occasion sociale et de considérer les règles de conduite sociale comme les liens institutionnalisés qui nous lient au rassemblement. Il y a une raison de passer d’un point de vue d’interaction à une position dérivée de l’étude des structures sociales de base. [...] Lorsque nous considérons le rassemblement comme quelque chose qui doit incarner l’occasion sociale dans laquelle il se produit, nous avons des raisons supplémentaires de lui accorder de l’importance (Goffman, 2010, p. 260).

Le principal apport de la théorie goffmanienne est d’avoir fouillé les moindres circonstances des relations sociales pour expliquer comment les régulations et les implications guident le comportement des individus dans une interaction et comment ce même individu en ressort transformé par cette interaction qui soutient une grande partie des éléments de la vie quotidienne. Personne comme lui n’a scruté les codes, les postures et les projections inscrits sur le corps à la suite des échanges entre deux ou plusieurs sujets qui sont volontairement en co-présence, engagés et en même temps vulnérables l’un envers l’autre : le corps comme instrument moulé pour exécuter et reproduire certaines règles sociales, identifiées par lui comme des propriétés situationnelles (Goffman, 2010 ; Persson, 2019 ; Pitanga, 2012), mais qui produit aussi la notion de soi, fruit de l’ordre de l’interaction et en même temps son fondement (Goffman, 2007).

Le pari de Goffman est que si, dans une rencontre entre deux individus, on peut établir un ensemble de règles qui ordonnent cette interaction, c’est qu’il s’agit d’un événement social digne d’une analyse sérieuse. Aucun travail sociologique avant lui n’avait présenté le corps de manière aussi détaillée comme une instance non seulement d’exercice et de projection de la force physique, mais aussi comme un instrument fondamental de communication et d’ajustement des attentes de deux individus dotés d’une sociabilité qui, par cette caractéristique, sédimente la notion même d’humanité, puisqu’elle est partagée entre les hommes.

Si l’analyse des situations d’implication peut permettre de comprendre la structure des différentes formes d’interaction sociale développées lorsque deux individus sont physiquement présents, c’est parce qu’aborder la question du handicap dans le cadre goffmanien peut permettre de révéler les impacts apportés à la vie quotidienne de ces personnes en analysant les barrières qui empêchent leur implication dans les activités constitutives de l’interaction. Dans la CIF comme dans la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, la définition du handicap est celle d’une personne dont la relation entre les entraves corporelles et les facteurs environnementaux conduit à la restriction de la participation sociale par le biais d’impacts sur l’interaction.

Toutefois, l’interaction sociale des personnes handicapées a été mentionnée en termes macro-structurels comme effets des impositions sociales et culturelles sur les individus, avec peu de détails sur la manière dont fonctionnent les éléments fondamentaux de l’interaction entre les personnes handicapées et d’autres personnes, et entre les personnes handicapées et la société. Si la participation est limitée par les obstacles auxquels les personnes handicapées sont confrontées, leur engagement dans les activités, les relations et les environnements s’en trouvent altérés. Cette description détaillée des formes d’interaction par la théorie goffmanienne offre de riches perspectives d’évaluation du handicap dans une perspective biopsychosociale.

L’ordre des interactions sociales est si important pour la socialisation qu’il peut expliquer, par exemple, pourquoi un enfant autiste âgé de quelques années seulement - même s’il n’arrive pas à comprendre le sens ou la signification de l’acte de dire au revoir et que certains d’entre eux le font même avec la paume de la main tournée vers eux-mêmes - apprécie cet acte. Et lorsqu’ils essaient de l’exprimer à la demande de leur personne la plus fidèle et la plus intime - comme leur maman ou leur papa - en dirigeant le geste vers un inconnu, ils y parviennent difficilement. Parfois, ils le font différemment de leurs habitudes, pour se conformer au rituel de l’interaction, même s’il ne passe pas le crible de l’évaluation critique, puisque ce jugement est remplacé par l’automaticité de l’acte interactif qui intériorise le geste chez les sujets en raison de sa valeur instrumentale pour la socialisation.

Lorsque Goffman a introduit des analyses des contingences dans l’interaction sociale dans son livre Behaviour in Public Places (1971), qui n’a été traduit au Brésil qu’en 2010, sa théorie semblait même promouvoir une rupture avec les élaborations précédentes (Persson, 2019). Si les publications antérieures étaient largement caractérisées par des hypothèses sur l’ordre et des rapports qui suggéraient l’ordre, à partir de Behaviour in Public Places, les analyses des contingences dans l’interaction élèvent sa formulation théorique à un autre niveau critique des déterminants macro-structurels de la société et de leurs réflexes dans les interactions, dans lequel ces contingences peuvent être résumées par le concept d’impropriétés situationnelles (Abrams, 2014). Pour Goffman, en présence d’autres personnes, les individus sont guidés par un ensemble spécial de règles qui régissent l’allocation de l’implication pour maintenir l’ordre interactif. Et, « sous la gouvernance de ces règles, l’individu découvre qu’une partie de sa capacité d’implication est réservée au rassemblement en général (et par-delà même, à son occasion sociale) » et pas seulement aux personnes immédiatement présentes (Goffman, 2010, p. 259), ce qui rapproche cette approche théorique de la perspective interactionnelle du modèle social et du modèle interactif de la CIF elle-même.

En d’autres termes, à partir de ce travail, il est possible de percevoir explicitement dans la théorie goffmanienne non seulement ce qui maintient l’ordre de l’interaction, mais aussi ce qui le menace, de l’extérieur vers l’intérieur et aussi à l’intérieur de sa constitution. Cette orientation a des implications sur la question du handicap et ce texte a cherché à rapprocher cette approche du cadre du modèle social, en encadrant l’évaluation biopsychosociale avec ces objectifs, afin d’encourager désormais de nouvelles approches critiques.

Considérations finales

L’effort entrepris ici a été de tenter de mettre en relation trois dimensions (la théorie goffmanienne, la perspective biopsychosociale de la CIF et le modèle social) afin de créer un cadre théorique permettant d’analyser le handicap en tant que production sociale et expression des inégalités produites par le capitalisme, dans une perspective de totalité, en offrant des outils conceptuels aux évaluateurs professionnels. Sans proposition théorique, les professionnels ne peuvent pas être en mesure de percevoir les éléments qui structurent l’évaluation du handicap dans une perspective critique, et l’évaluation du handicap peut s’éloigner des hypothèses du modèle social.

Ma proposition consiste à reconnaître que les interactions sociales sont des manifestations ontologiques de la condition humaine. En raison des obstacles auxquels elles sont confrontées, les personnes handicapées subissent des impacts significatifs sur leurs interactions, au point de les empêcher de participer pleinement à la société sur un pied d’égalité avec les autres, voire de mettre en péril la reconnaissance de leur dignité. Conceptualiser la nature ontologique des interactions sociales pour la condition humaine ne signifie pas assumer comme une conception abstraite une formulation idéale de ce que la vie et notre condition devraient être. Au contraire, cela signifie qu’il s’agit d’une catégorie qui exprime théoriquement comment notre condition humaine est constituée dans la réalité, selon les termes de la notion d’ontologie défendue par Karel Kosík (2002).

En 2021, la loi 14.176, approuvée par le Congrès brésilien suite à une initiative du gouvernement fédéral, a rendu possible le fait que les évaluations du handicap effectuées par les travailleurs sociaux de l’INSS puissent avoir lieu à distance, à une certaine distance entre l’évaluateur et la personne évaluée par vidéoconférence (Brasil, 2021). L’introduction de la possibilité d’évaluation à distance par téléconférence s’attaque à l’une des hypothèses de base de l’évaluation du point de vue du modèle social : celle du handicap considéré à travers l’interaction sociale, puisque, comme on l’a dit, l’interaction est structurée par trois processus, à savoir les rassemblements sociaux, les engagements en face à face en coprésence physique et la situation sociale.

L’expression corporelle et les engagements faciaux qui structurent les propriétés situationnelles ne peuvent être évalués à distance en raison des projections d’images recadrées lors d’un appel en visioconférence, qui modifient le comportement, la perception, la capacité de réaction, la posture et la capacité de communication des personnes évaluées. Par exemple, lors d’une visioconférence, il y aura non seulement des images déformées des personnes handicapées physiques, ce qui entravera l’analyse de l’expression corporelle, mais aussi des incohérences dans l’analyse des obstacles à la communication rencontrés par les personnes ayant des handicaps sensoriels (auditifs et visuels), ainsi que des modifications des règles comportementales appliquées par les personnes handicapées devant un écran d’ordinateur ou un téléphone portable, telles que celles observées par les enfants autistes.

J’ai réalisé une étude basée méthodologiquement sur la notion de cadrage de Goffman, en l’utilisant pour une analyse de contenu, qui est, selon les termes de Ricardo Mendonça et Paula Simões (2012) et Robert Enteman (1993), l’un des voies possibles de l’utilisation de l’analyse goffmanienne des cadres. L’objectif était de traiter l’évaluation du handicap dans une perspective biopsychosociale comme un cadrage, afin d’étudier la pertinence des concepts goffmaniens, conformément aux hypothèses du modèle social, étant donné que l’acte évaluatif n’est pas un simple cliché simulé de la réalité. Cela a permis d’articuler l’analyse de l’ordre d’interaction et des impropriétés situationnelles avec l’expérience des participants (évaluateur et évalué), la (non-)performance des activités de la personne handicapée et la façon dont l’évaluateur les comprend.

La principale contribution des élaborations présentées ici a donc été de réfléchir aux concepts d’ordre d’interaction et d’impropriétés situationnelles appliqués au sujet du handicap, en élargissant la compréhension de la théorie goffmanienne et de ses contributions au sujet qui vont bien au-delà de celles limitées au concept de stigmate. Afin d’articuler de manière dynamique les dispositions corporelles, les circonstances environnementales et les facteurs environnementaux (structurels, sociaux et culturels) dans l’évaluation du handicap, définir le handicap comme le résultat de l’interrelation entre ces éléments. Bien que la CIF présuppose un modèle interactif à dimensions multiples, elle ne permet guère d’élucider la manière dont les conditions d’implication amènent les personnes à réaliser ou non des activités pertinentes pour l’interaction. D’autre part, les éléments constitutifs de l’ordre interactif de Goffman ne permettent guère d’expliciter les situations dans lesquelles les implications sont empêchées, entraînant la non-exécution d’activités, en raison de facteurs extrinsèques aux individus, mais qui affectent l’interaction en l’interdisant, comme dans le cas de la relation des personnes handicapées rencontrant des obstacles avec les autres et avec les environnements restrictifs.

J’ai proposé que l’une des principales contributions de Goffman au sujet du handicap soit le concept d’ordre d’interaction, qui crée les conditions permettant de dévoiler les causes et les conséquences de la non-exécution d’activités et de la non-implication de ces personnes dans des situations sociales. Pour Goffman, en présence d’autrui, les individus sont guidés par un ensemble particulier de règles qui régissent la répartition de l’implication afin de maintenir l’ordre interactionnel. J’ai montré que cette dimension est particulièrement discordante pour les personnes handicapées, en raison des obstacles auxquels elles sont confrontées et de leurs singularités, ce qui est mis en lumière par les leçons sociologiques goffmaniennes correspondantes, précisant ainsi une dimension relationnelle que le modèle social du handicap valorise tant, mais qu’il suppose tacitement sans en démontrer le fonctionnement.

Pour Erving Goffman, le moment où les individus sont physiquement disponibles les uns pour les autres, en face à face et en coprésence, révèle l’une des situations les plus importantes pour la constitution de la société et de la condition humaine elle-même : l’acte d’interaction. Et c’est là que se trouve la base fondamentale des situations qui expliquent pourquoi et comment les personnes handicapées participent à la société, dans les termes du modèle social. L’étude présentée ici vise à ouvrir des possibilités de recherches ultérieures en élargissant et en renforçant la perspective émancipatrice du modèle social du handicap, soit par d’autres développements théoriques, soit par l’application dans des recherches empiriques.

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Notes

1 La traduction de cet article a été corrigée par Giovanna Rodrigues Molina. Retour au texte

2 Trois ans après la publication de Stigma par Goffman, Paul Hunt a publié Stigma : A Critical Condition en 1966, considéré comme l'auteur et le livre inaugural du modèle social du handicap, sans toutefois mentionner le travail de Goffman (Ferrante, 2020; Brune et al., 2014). Cela marque le début d'une longue trajectoire de critiques du travail de Goffman par les théoriciens du modèle social, bien qu'elles soient largement axées sur des aspects spécifiques, négligeant le cadre plus général de sa théorie et ses implications pour la compréhension du handicap en tant qu'inégalité. Retour au texte

3 Au Brésil, l'Institut National de la Sécurité Sociale (INSS) est responsable de l'évaluation biopsychosociale du handicap lors de l'octroi de la Prestation Continue en espèce (BPC) et de la retraite aux personnes handicapées en vertu de la loi complémentaire 142/2013. Réalisée par des experts médicaux et des assistants sociaux, cette évaluation biopsychosociale basée sur la CIF et la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées de 2006 a lieu dans le pays depuis juillet 2009. Je suis assistant sociale à l'INSS depuis dix ans et demi, et je réalise chaque semaine environ trois douzaines d'évaluations de demandeurs de prestations pour personnes handicapées dans une perspective biopsychosociale, alors que je suis une personne non handicapée. Ce sont ces expériences que j'ai accumulées, ainsi que dix-huit années de recherche dans le cadre du modèle social, qui me permettent de réfléchir aux limites et aux possibilités d'une évaluation basée sur l'approche biopsychosociale par rapport au modèle social du handicap et aux concepts goffmaniens. Retour au texte

4 La ligne est un modèle d'actes verbaux et non verbaux par lequel l'individu exprime son opinion sur la situation et, par ce biais, son évaluation des participants, en particulier de lui-même. Agir conformément à la ligne est fondamental pour maintenir la façade dans l'interaction (Goffman, 2011). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Wederson Santos, « Le handicap évalué par l’interaction sociale : contributions d’une relecture d’Erving Goffman », Cahiers franco-latino-américains d'études sur le handicap [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 22 décembre 2023, consulté le 17 mai 2024. URL : https://cfla-discapacidad.pergola-publications.fr/index.php?id=292
DOI : https://dx.doi.org/10.56078/cfla_discapacidad.292

Auteur

Wederson Santos

Institut national de sécurité sociale - Brasília-DF. Brésil ; santoswederson1983@gmail.com
Wederson Santos est un travailleur social diplômé de l’université de Brasilia, titulaire d’un master en politique sociale et d’un doctorat en sociologie de l’UnB. Il est chercheur dans le domaine du handicap, de la santé mentale et des politiques sociales. Il est travailleur social permanent à l’Institut national de sécurité sociale (INSS) du ministère de la Protection sociale depuis janvier 2013. Il est professeur d’université et dispense des cours sur le travail social et la psychologie depuis 2008.

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