Résumé

Dans les territoires français d’Outre-Mer, les inégalités sociales se doublent d’inégalités territoriales, accentuant le gradient social de santé et produisant une vulnérabilité particulière. Étudier l’influence de la situation post-coloniale en Guadeloupe sur les habitudes de vie des personnes dites handicapées suppose de rendre compte des « dominations enchâssées » à l’œuvre dans ces territoires. L’enquête DECIBEL-G (DEfiCience audItive : Besoins et Leviers en Guadeloupe) porte sur la population sourde et malentendante de l’archipel guadeloupéen, à partir d’un recueil mixte (questionnaires et entretiens), et en croisant les sources informatives (population-cible : personnes sourdes et malentendantes, et leur entourage ; professionnels-acteurs de la surdité et du handicap, sur le territoire). Les données portent notamment sur la participation sociale des personnes sourdes et malentendantes, et les freins environnementaux qui la limitent, en particulier dans le champ sanitaire. Les résultats s’inscrivent dans la lignée d’analyses socio-historiques des usages corporels et des mobilisations collectives de personnes en situation de handicap en Guadeloupe. Ils montrent un rapport ambivalent à la France hexagonale et aux personnes dites valides, entre quête d’assimilation et d’égalité face au manque d’accessibilité, et volonté d’émancipation par la revendication de spécificités culturelles et corporelles. Face au discours médical, le refus de la réparation coïncide, pour la communauté Sourde, avec des mécanismes de résistance à la domination, et de revendications identitaires.

Plan

Texte

Introduction

Cet article s’intéresse à la participation sociale et aux conditions de vie des personnes sourdes et malentendantes en Guadeloupe. Aucune enquête à ce jour n’a permis de déterminer avec précision les difficultés spécifiques auxquelles ces personnes font face, dans ce département d’Outre-Mer.

Les données présentées sont issues d’une étude nommée « DEfiCience audItive : BEsoins et Leviers en Guadeloupe (DECIBEL-G)1 », financée par l’Agence Régionale de Santé (ARS2) de Guadeloupe. L’enquête avait pour objectifs de i) dessiner une « morphologie sociale » (caractéristiques socio-démographiques, parcours de vie) des personnes sourdes et malentendantes ; ii) d’identifier les moyens humains et institutionnels dans l’accompagnement de la surdité sur le territoire ; et iii) de repérer les leviers, freins et besoins, en fonction des espaces considérés (environnement familial, scolaire, médical, social) et en croisant les sources informatives (population-cible et professionnels-acteurs de la surdité).

Ce travail s’appuie sur un riche recueil mixte (par questionnaire et entretien) et propose ainsi une contribution originale. En premier lieu, en actualisant et enrichissant les données issues d’études nationales qui incluent rarement la population sourde et malentendante dans les sondages, et faiblement et tardivement les territoires ultra-marins. Sur un plan statistique, la couverture du handicap en France fait en effet l’objet de critiques, comme celles exprimées par le Défenseur des droits en France (2020) faisant état d’une insuffisance de données3. Celles liées à la surdité sont souvent indifférenciées parmi les données incluant tous les handicaps, ou bien combinées au handicap visuel au sein de la catégorie « handicaps sensoriels ». Lorsque le handicap auditif constitue une catégorie à part entière, c’est de façon lissée, sans distinction des locuteurs de la langue des signes, par exemple (Geffroy et Leroy, 2018). Plus généralement, pour des motifs méthodologiques (Fontaine, 2015) mais également identitaires chez les répondants (par exemple, par crainte d’une assimilation de la surdité au registre de la maladie, Sitbon, 2015) peu d’enquêtes s’appuient sur un échantillon représentatif, avec un recueil tardif chez les populations ultra-marines. Les données portent fréquemment sur la « France métropolitaine »4 puis font l’objet d’une généralisation à l’ensemble de la population française. Globalement, les résultats d’enquêtes nationales incluant les Départements d’Outre-Mer (Handicap-Santé, 2008, Géran, 2011 ; Dubost, 2018 ; EHIS 2019, Leduc et al., 2021) indiquent une « prévalence des déficiences » (les principales sont visuelles, motrices et psychologiques) similaire en Guadeloupe et en France. 30 % de la population âgée de 15 ans ou plus déclarent des restrictions d’activités, le handicap concernant une part plus importante de répondants guadeloupéens que sur le territoire national (11 % vs 9 %). Concernant les difficultés d’audition, la fréquence des difficultés sévères ou modérées est plus faible en Guadeloupe, cet écart étant expliqué par l’hypothèse d’un environnement en moyenne moins bruyant. Le taux exact n’est cependant indiqué que pour les enquêtés âgés de 55 ans et plus.

Et second lieu, ce travail étaye la littérature scientifique portant sur la surdité, dans le champ des sciences sociales. Les termes « déficience auditive » relèvent certes de l’approche médicale : ils supposent qu’une fonction, l’audition, permise ordinairement par un ensemble de structures anatomiques, est défaillante. Toutefois, selon l’Organisation Mondiale de la Santé5, cette désignation englobe les malentendants et les sourds. Étant donné que notre enquête porte sur les personnes sourdes, malentendantes et devenues sourdes, c’est ce terme, tel qu’utilisé par les financeurs6 du projet, qui a été conservé dans le titre de l’étude ; il sera plus rarement utilisé pour désigner les personnes sinon sur des questions médicales ou fonctionnelles ; « personnes sourdes et malentendantes » sera préféré pour désigner l’ensemble de l’effectif de l’enquête. Ce projet s’inscrit ainsi dans une approche sociale, systémique et écologique de la santé et du handicap, dans la lignée des travaux valorisant le processus de production culturelle du handicap, et la considération de la communauté sourde en tant que minorité linguistique. Cette approche de la surdité invite à s’éloigner de la perspective biomédicale et à un renversement du regard sur le handicap : il suffit d’appréhender un entendant qui ne serait pas locuteur de la langue des signes dans un monde majoritairement sourd. La situation de handicap est donc produite par l’interaction entre les facteurs environnementaux et socioculturels, et les caractéristiques organiques et fonctionnelles de l’individu : si les incapacités et déficiences appartiennent à la personne, leurs influences sur la participation sont fonction des possibilités qui sont offertes et valorisées par l’environnement (Fougeyrollas, 2010). Quentin parle d’ailleurs des « invalidés (2019) pour désigner les personnes dites handicapées dont on a invalidé « leur capacité à participer à la société du fait d’une structuration sociale et architecturale qui d’emblée ne tient pas compte d’eux » (2019, 45). Dans le sillage des Disability Studies (Albrecht et al., 2001), en lien avec les mouvements sociaux de personnes handicapées, et plus particulièrement des Deaf Studies (Padden et Humphries, 1988), le Sourd7 n’est pas considéré comme un malade mais un acteur social historiquement opprimé par les entendants, militant pour ses droits et sa participation sociale et citoyenne (Stiker, 2005 ; Mottez, 2006 ; Gaucher, 2009 ; Bertin, 2010). Les débats sur les modèles et les politiques en matière de handicap ont cependant été mené principalement par des militants et des universitaires occidentaux, issus de la classe moyenne blanche (Assaf, 2024). Des contributions plus récentes, comme les Black Disability Studies (Bell, 2006 ; Schalk, 2022), tiennent ainsi compte de l’accumulation de discriminations, notamment liées à la race. Concernant la surdité, l’intersection de l’identité sourde, de l’ethnicité et de la diversité a été étudiée à travers le prisme des Noirs sourds issus de communautés afro-américaines, façonnés par deux cultures (Devlieger et al., 2007 ; Solomon, 2018 ; Dunn et Anderson, 2020). Considérées comme minoritaires par une société majoritairement entendante et blanche, les personnes sourdes noires subissent ainsi un double préjudice en termes de discrimination raciale, et d’obstacles à la communication.

En France, étudier l’influence de la situation post-coloniale sur les inégalités et les conditions de vie des personnes sourdes suppose de rendre compte des « dominations enchâssées » à l’œuvre dans les territoires ultra-marins (Lemercier et al., 2014). Le Défenseur des Droits en France mentionne d’importantes disparités de traitement entre les personnes handicapées selon leur lieu de résidence et précise, concernant l’Outre-Mer, que les atteintes aux droits constatées en France hexagonale y sont accentuées8. Les inégalités sociales se doublent d’inégalités territoriales, de sorte que le gradient social de santé (la correspondance entre les différences de santé observées entre individus et leur position dans la hiérarchie sociale, selon un continuum) est susceptible d’être accentué, produisant une vulnérabilité particulière dans ces territoires (Dubost, 2018 ; Bagein et al., 2022)9.

Le terrain de notre étude se situe dans un territoire ultra-marin situé à presque 7 000 km de la France hexagonale : l’archipel guadeloupéen, composé de quatre îles habitées. Le passé colonial marqué par la traite négrière façonne une histoire singulière et multiculturelle de la Guadeloupe (Virapatirin, 2022), ainsi qu’un rapport ambivalent à « l’amère patrie » (Dumont, 2010). Quelques travaux empruntant une approche socio-historique ont porté sur les usages corporels et les mobilisations collectives des personnes vivant des situations de handicap physique, sur le territoire guadeloupéen (Ruffié et Villoing, 2020 ; Villoing et al., 2016 : Ferez et Ruffié, 2015 ; Villoing et Ruffié, 2014). Ces analyses menées à la lumière du contexte post-colonial éclairent la façon dont les normes hiérarchisées, produites par la position des « dominants » dits « valides », surdéterminent des dispositions complexes. Celles-ci se traduisent par un mouvement de proximité à la France hexagonale, et une volonté d’égalité et d’accès équitable aux droits (en termes de prestations, de structures et services), qui cohabitent avec une quête d’autonomie, et de revendication de singularités culturelles et corporelles. Ces revendications sont partagées par de nombreux membres de la communauté sourde guadeloupéenne, réunis récemment en un « Mouvement Citoyens Sourds ». Ce collectif s’est structuré en réaction à l’inauguration, en novembre 2018, d’une œuvre d’art nommée « Ma sourde oreille », installée sur un carrefour giratoire afin d’interpeller les automobilistes. Pour le collectif, le symbole choisi de l’oreille véhicule la représentation d’un manque lié à l’absence d’un sens, dans une perspective pathologisante : « la surdité appréhendée sous l’angle de la déficience et du “handicap” » tandis que le logo « Les mains sur fond bleu » [pictogramme symbolisant la langue des signes] « [aurait plutôt mis] l’accent sur l’accessibilité en Langue des Signes et reconnait celle-ci comme langue véhiculaire des Sourds »10.

Figure 1. Photographie de la sculpture « Ma Sourde Oreille », commune de Baie-Mahault, Guadeloupe.

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Plus largement, le Mouvement Citoyens Sourds a pour objectif de sensibiliser la population et d’alerter les pouvoirs publics et les collectivités sur les conditions de vie et les difficultés rencontrées par les personnes sourdes et malentendantes en Guadeloupe. En premier lieu figure la nécessité d’améliorer l’accessibilité au quotidien (par exemple, par la formation d’interprètes en langue des signes, la mise en accessibilité des administrations publiques et en particulier des établissements publics de santé, le sous-titrage des journaux télévisés, ou encore l’instauration du bilinguisme dans l’Éducation nationale). Il s’agit de cesser d’invisibiliser les personnes sourdes et malentendantes en Guadeloupe et de « briser [leur] solitude11. »

Méthode

L’étude fut déployée en plusieurs temps : une enquête exploratoire a permis de recueillir le savoir expérientiel d’acteurs pertinents (chercheurs, membres de la communauté sourde, associations locales et intervenants dans le champ du handicap et/ou de la surdité) et de mieux identifier les enjeux et problématiques de la population-cible, pour ensuite ajuster la méthode et les outils de recueil via des temps de co-construction. Plusieurs problématiques contraignant l’enquête et le recueil de données ont aussi pu être identifiées : tout d’abord, la nécessité de ne pas limiter le format du questionnaire à une forme écrite. Au-delà des difficultés de déchiffrage, le niveau de littératie et la compréhension du sens ont été évoqués comme des freins à la passation d’une enquête dont le contenu serait trop complexe. Sur le volet quantitatif, les échelles de mesures initialement envisagées, la Mesure des Habitudes de Vie (MHAVIE, Fougeyrollas et al., 2014), et la Mesure de la Qualité de l’Environnement (MQE, Fougeyrollas et al., 2008), n’ont pas pu être utilisées, mais ont inspiré le questionnaire créé pour l’enquête. Ce dernier permet de renseigner les éléments suivants : premièrement, les données socio-démographiques, les conditions de vie matérielles et sociales ; dans la deuxième partie, le parcours de soins et les problématiques de santé ; et enfin, concernant la vie quotidienne, sont notamment renseignées les aides humaines et techniques ; le degré d’accomplissement de 27 habitudes de vie, et la mobilité géographique, en particulier vers la France. Le questionnaire est proposé en version papier, ou numérique ; en auto- ou hétéro-passation avec l’enquêtrice, accompagnée de l’interprète pour assurer l’interprétation en LSF12 des questions, des modalités de réponse et des réponses du participant. La version numérique, en ligne, a été créée sur le logiciel d’enquête et d’analyse de données Sphinx.

Pour compléter et contextualiser ce recueil quantitatif, l’enquête de terrain a également mobilisé une méthodologie qualitative par :

1) des entretiens de type biographiques, ce choix méthodologique s’inscrivant dans la volonté de valoriser le courant narratif, et la mise en récit de l’expérience du handicap (Ville, 2008). Ils ont été conduits avec des personnes sourdes et malentendantes (en présence d’un interprète si nécessaire) et parfois de leur entourage. Les entrées thématiques recoupent celles du questionnaire : situation socio-économique, biographie familiale, parcours de soins, activités réalisées et modalités d’accomplissement (par exemple, vie quotidienne, scolaire, professionnelle, activités citoyennes, culturelles), dans les environnements familiaux, extra-familiaux et institutionnels ; configurations relationnelles et processus de (dé)socialisation liés au handicap dans ces divers espaces.

2) des entretiens semi-directifs, conduits avec des professionnels et intervenants des champs scolaire, social, médico-social, professionnel, associatif, en veillant à constituer un panel diversifié, et ce pour l’ensemble de la population-cible (enfants et adolescents, adultes, aînés, population active). Il s’agissait de les interroger sur leur savoir expérientiel, les enjeux liés à la surdité et au contexte local, leur perception des moyens humains et institutionnels et la cohérence de ces moyens avec les besoins des personnes sourdes et malentendantes.

Pour le recrutement des sujets, la technique d’échantillonnage non probabiliste dite « boule de neige » (snowball sampling, Goodman, 1961), proche du Respondent Driving Sampling13 a été privilégiée. De fait l’échantillonnage de populations aux contours imprécis, difficiles à atteindre en raison de caractéristiques potentiellement stigmatisantes, ou « rares » car peu saisissables par les outils statistiques, constitue un défi majeur en sciences sociales (Bataille et al., 2018). Certains répondants, de fait de leur positionnement dans le tissu de liens ont été des « gatekeepers » (Olivier De Sardan, 2007) en facilitant l’accès au terrain, l’acceptabilité et la diffusion de l’enquête, et ainsi la récolte des données. A cet égard, l’entremise des associations (notamment le partenaire opérationnel de l’étude, l’association Bébian Un autre Monde) et des interprètes a été décisive pour diffuser l’enquête et instaurer un sentiment de confiance dans la communauté sourde. Leur relai auprès des acteurs investis dans l’accompagnement de la surdité en Guadeloupe, ou plus largement du handicap, a également été très facilitateur.

Sources informatives et participants

Au total, l’enquête a impliqué plus d’une septantaine d’informateurs. Plus précisément, sur le volet quantitatif, 57 participants ont répondu au questionnaire. L’échantillon (n = 57 ; Mâge = 42,6 ; Ecart-Type, ET = 13,9) comporte 34 femmes (Mâge = 44,3 ; ET = 14,4 ; 63,1 %) et 23 hommes (Mâge = 40,04 ; ET = 13,02 ; 36,9 %).

Sur le volet qualitatif, les personnes interrogées sont des professionnels, intervenants ou acteurs en lien avec le handicap ou la surdité, des personnes sourdes et malentendantes et leurs proches. En plus des entretiens (n = 36, durée moyenne d’une heure) constituant le cœur du matériau discursif, une vingtaine d’unités qualitatives sont issues de plusieurs sources, et temps d’échanges formels et informels (réunions de co-construction, échanges post-passation du questionnaire, ateliers, permanence au Centre Hospitalier Universitaire, séminaire, journées de rencontre des Sourds). Le volume indiqué rend donc bien compte du nombre d’entretiens et non du nombre d’informateurs rencontrés. De nombreux acteurs étant eux-mêmes concernés par la déficience auditive, ou étant dans l’entourage proche de personnes sourdes et malentendantes, près de la moitié des entretiens (n = 15) sont de type « récits de vie ». Chaque contenu discursif fut retranscrit (mot à mot, verbatim), en vue de l’analyse thématique, puis anonymisé.

Les caractéristiques de l’échantillon des personnes sourdes et malentendantes figurent dans le tableau ci-après :

Tableau 1. Caractéristiques socio-démographiques, survenue de la surdité et autodéfinition des personnes sourdes et malentendantes

Caractéristiques

N (%)

Situation maritale

En couple*

24 (56,4 %)

Célibataire

31 (43,6 %)

Niveau d’études

 

Aucun diplôme

5 (9,1 %)

Inférieur au Bac

27 (49,1 %)

Baccalauréat

14 (25,5 %)

Supérieur au Bac

9 (16,4 %)

Situation professionnelle

 

Actif

21 (38,9 %)

Sans activité

27 (50 %)

En retraite

6 (11,1 %)

Survenue de la surdité

 

De naissance

34 (59,6 %)

Au cours de la vie

23 (40,4 %)

Autodéfinition

 

Sourd

37 (64,9 %)

Malentendant

15 (31,6 %)

Autre

5 (15,8 %)

Autre : « Hybride / les deux »

3

Autre : « Entendant »

2

* Qu’ils résident (32,7 %) ou non (10,9 %) avec le partenaire 

Pour caractériser les répondants, au-delà de l’approche par le contexte de survenue de la surdité, et par les restes auditifs, telle qu’utilisée dans des enquêtes nationales, il nous a semblé pertinent de nous appuyer sur une dimension subjective et identitaire. Celle-ci est liée à l’autodéfinition des personnes, quelles que soient leurs caractéristiques physiques ou fonctionnelles. À l’item : « Je me définis comme… », les modalités de réponse étaient les suivantes : « Sourd », « malentendant », « ni l’un ni l’autre » « autre » (« précisez », comprenant un espace d’expression libre). Sur les 57 répondants à l’item, 37 participants se définissent comme sourds, 15 déclarent être malentendants ; pour 5 participants, leur identité est « autre » : 3 s’auto-définissent comme « hybride » ou « les deux » (sourd et malentendant), et deux individus (jeunes implantés) s’auto-catégorisent comme « entendants », et rejettent l’assignation à la catégorie de déficient auditif ou de surdité.

L’analyse des modes de communication privilégiés est également pertinente pour caractériser les répondants : la langue des signes française est prédominante. En effet, elle est souvent utilisée par plus de 77,2 % (n = 44) des participants, 3 individus (5,3 %) seulement l’utilisant rarement, suivie de l’écrit, fréquemment (52,6 %, n = 20) et rarement (29,8 %, n = 17) utilisé, puis de la lecture labiale, à laquelle ont souvent recours plus de la moitié des répondants (54,4 %, n = 31, vs 33,3 %, n = 19 qui l’utilisent rarement). 36,8 % (n = 14) ont souvent recours à l’oralisation. Le Langage Parlé Complété n’est fréquemment utilisé que par deux répondants ; 63,6 % (n = 35) des enquêtés sont incapables de l’utiliser.

Approche quantitative de la participation sociale des personnes sourdes et malentendantes

Évaluer la perception de limitation dans les activités

L’indicateur synthétique « GALI » (Global Activity Limitation Indicator, ou « indicateur global de restriction d’activité ») a été utilisé afin de saisir la perception globale de limitation des participants. Il permet de poser une question unique incluant quatre éléments constitutifs du handicap (Dauphin et Eideliman, 2021) : sa dimension chronique (« depuis plus de 6 mois »), ses causes (« problème de santé ») et le fait que l’on cherche à mesurer les conséquences sur les activités (« limité dans les activités ») dans un contexte social donné (« que les gens font habituellement »). Sont considérées comme étant handicapées, au sens où elles ont de fortes restrictions d’activité, les personnes répondant « oui, fortement » à l’énoncé suivant : « Êtes-vous limité(e), depuis au moins six mois, à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement ? Oui, fortement limité(e) / Oui, limité(e), mais pas fortement / Non, pas limité(e) du tout. ».

Dans notre questionnaire, nous avons apporté une modification à cet énoncé : en effet, dans la phase de co-construction de l’outil, les retours faits par les membres de l’association partenaire opérationnel du projet nous indiquaient que la surdité n’étant pas considérée comme un problème de santé ou une pathologie, le répondant n’attribuait pas les difficultés rencontrées dans le quotidien au fait d’être sourd, ou malentendant, avec cette formulation, entrainant une sous-estimation des limitations perçues. Le terme « handicap » était lui aussi trop connoté négativement et stigmatisant pour les personnes. Par conséquent, nous ne parlons pas de « problème de santé » mais précisons la cause en désignant la surdité, ou les difficultés d’audition.

Plus de 40 % des participants (40,4 %, n = 23) indiquent se sentir fortement limités dans des activités que les gens font habituellement. Ils sont 31,6 % (n = 18) à se sentir limités, mais pas fortement, et 28,1 % (n = 16) à estimer n’être pas du tout limités. Malgré la faible taille des sous-groupes, une analyse comparative a été menée pour identifier d’éventuelles différences entre ceux qui s’auto-désignent comme sourds (n = 37) et ceux qui se considèrent autrement, toutes catégories confondues (n = 20). D’un point de vue statistique, les différences observées ne sont pas significatives (test du Chi2 non significatif, p = 0.1).

Les habitudes de vie des personnes sourdes et malentendantes

Afin d’évaluer la participation sociale (ou le degré de réalisation des habitudes de vie), 27 activités quotidiennes ont été proposées dans le questionnaire. Pour chaque item, il était demandé au répondant d’indiquer le degré de facilité dans l’accomplissement de cette activité (ou son non-accomplissement). Dans un objectif de traitements quantitatifs, les réponses ont été recodées de la façon suivante : 0, pour la modalité « impossible à faire, mais j’aimerais », 1 « très difficile », 2 « plutôt difficile », 3 « plutôt facile », et 4 « très facile ». Si l’habitude de vie n’est pas pertinente, le répondant peut indiquer « ne me concerne pas », auquel cas celle-ci n’est pas considérée.

Les activités (voir Tableau 2) dont la réalisation est la plus difficile (< ou = 2) concernent le fait d’exercer sa citoyenneté (« participer à la vie citoyenne, par ex. voter »), regarder les actualités à la télévision et la réalisation de démarches administratives en présentiel (par exemple à la Caisse d’Allocations Familiales [CAF14] ou à la Mairie).

D’autres activités sont accomplies avec une certaine difficulté (score compris entre 2 et 3) : les rendez-vous médicaux (« aller à un rendez-vous médical »), le fait d’avoir des loisirs culturels (comme aller au musée), réaliser des démarches administratives à distance, communiquer avec des entendants, lire (un journal, un livre), passer le permis de conduire, communiquer avec les collègues de travail, communiquer avec la famille, et enfin suivre les actualités sur internet. Les autres activités (déplacements, soins du corps, tâches et loisirs domestiques, alimentation et repas, activités sportives et artistiques, communication avec des personnes sourdes, suivi des films, séries et documentaires à la télévision) ont un score d’accomplissement élevé (sont accomplies avec facilité, score > 3).

Des analyses comparatives entre groupes ont été conduites à l’aide du test du U de Mann-Whitney, la distribution des données ne suivant pas une loi normale (test de Shapiro-Wilk significatif). Les résultats figurent dans le tableau ci-après. La faible taille de l’échantillon ne permettait pas d’effectuer des analyses par sous-groupes, à partir de catégories construites et croisant un ensemble de variables pertinentes (par exemple, moment de survenue de la surdité, degré de limitation déclarée, aide technique utilisée, mode de communication privilégié, autodéfinition). Dans la littérature, les travaux font part de l’hétérogénéité des approches et des difficultés pour délimiter les catégories pertinentes des analyses liées à la surdité. Dans notre étude, les données quantitatives portent sur l’ensemble des personnes sourdes et malentendantes mais des comparaisons inter-groupes ont toutefois été proposées lorsque jugé pertinent au regard de la variable considérée (participation sociale, stigmatisation perçue, limitation globale dans les activités). Nous avons tenu compte de la distinction entre les répondants se définissant comme sourds, et ceux qui adoptent un autre qualificatif. Ce regroupement sous la désignation commune « autre » ne renvoie pas forcément à un groupe homogène et cohérent, mais il nous apparaissait que les personnes s’autocatégorisant comme sourdes font face à des difficultés quotidiennes, et des besoins de compensation et d’adaptation de l’environnement plus importants. Le matériau qualitatif permettra d’affiner et d’appuyer ces hypothèses.

Tableau 2. Scores moyens (et écart-type) d’accomplissement des activités quotidiennes pour l’ensemble des personnes sourdes et malentendantes, et par groupe, avec valeur p du test de Mann-Whitney.

Habitude de vie

Population totale
(moyenne ± écart-type)

Sourds
(moyenne ± écart-type)

Autre
(moyenne ± écart-type)

Valeur p
(Test U de Mann-Whitney)

Soin du corps

3.94 ± 0.23

3.94 ± 0.23

3.95 ± 0.22

0.96

Préparation repas

3.77 ± 0.54

3.77 ± 0.54

3.78 ± 0.54

0.97

S’alimenter

3.91 ± 0.44

3.94 ± 0.23

3.85 ± 0.67

0.96

Déplacements (int)

3.96 ± 0.18

3.94 ± 0.23

4.00 ± 0.00

0.29

Transports publics

3.07 ± 0.99

3.13 ± 1.05

2.94 ± 0.89

0.35

Mobilité (ext)

3.40 ± 0.87

3.45 ± 0.95

3.30 ± 0.73

0.13

Passation permis de conduire

2.60 ± 1.23

2.64 ± 1.32

1.20 ± 0.97

0.51

Actualité via internet

2.77 ± 1.13

2.64 ± 1.20

3.00 ± 0.97

0.32

Actualité télévisuelle

1.91 ± 1.30

1.40 ± 1.11

2.85 ± 1.08

< .001

Lecture

2.54 ± 1.09

2.22 ± 1.09

3.10 ± 0.85

< .05

Courses

3.67 ± 0.61

3.69 ± 0.62

3.61 ± 0.60

0.46

Tâches ménagères

3.89 ± 0.46

3.97 ± 0.16

3.70 ± 0.16

0.05

Démarches admin (prés)

2.02 ± 0.98

1.83 ± 1.02

2.38 ± 0.77

< .05

Démarches admin (dist)

2.31 ± 1.03

2.21 ± 1.13

2.50 ± 0.78

0.39

Vie citoyenne

1.61 ± 1.37

1.23 ± 1.32

2.35 ± 1.16

< .01

Communication entendants

2.39 ± 0.86

2.16 ± 0.83

2.80 ± 0.76

< .01

Communication sourds

3.41 ± 1.02

3.70 ± 0.81

2.84 ± 1.16

< .001

Communication famille

2.74 ± 0.87

2.64 ± 0.91

2.90 ± 0.78

0.33

Communication collègues

2.63 ± 0.92

2.48 ± 0.94

3.00 ± 0.77

0.13

Rendez-vous médicaux

2.18 ± 1.06

1.91 ± 1.01

2.68 ± 1.00

< .01

Usages numériques

3.35 ± 0.85

3.37 ± 0.86

3.30 ± 0.86

0.71

Loisirs domestiques

3.57 ± 0.74

3.50 ± 0.84

3.72 ± 0.46

0.45

Loisirs culturels

2.28 ± 1.19

1.97 ± 1.19

2.80 ± 1.00

< .01

Activités Physiques et Sportives

3.25 ± 0.98

3.22 ± 1.09

3.31 ± 0.74

0.86

Sorties

3.40 ± 0.92

3.40 ± 1.01

3.40 ± 0.87

0.56

Contenus audiovisuels

3.09 ± 0.95

2.94 ± 0.98

3.35 ± 0.87

0.12

Activités artistiques

3.22 ± 1.03

3.31 ± 1.14

3.05 ± 0.74

0.08

Les différences observées sont significatives quant aux habitudes de vie suivantes : suivre les actualités sur internet, lire, participer à la vie citoyenne, communiquer avec des entendants, communiquer avec des personnes sourdes, assurer ses rendez-vous médicaux et avoir des loisirs, et une vie culturelle. Pour toutes ces activités, à l’exception de la communication avec des personnes sourdes (où les Sourds ont plus de facilité), le score moyen des répondants du groupe Autre est supérieur ; en d’autres termes, les personnes se définissant comme sourdes rencontrent davantage de limitations et de difficultés.

Un manque d’accessibilité au quotidien : « On a l’impression de pas être complètement dans la société »

Les productions discursives apportent un éclairage supplémentaire à ces données quantitatives. Parmi les thématiques abordées, c’est la question de l’accessibilité qui est primordiale et récurrente. Accès aux espaces et aux démarches de la vie quotidienne : administrations, commerces, institutions, mais également aux services de soins, à l’information locale et nationale, à la vie culturelle, ou encore à la vie citoyenne et politique.

Ainsi, concernant les actualités et les informations diffusées à la télévision ou dans la presse, les personnes sourdes précisent qu’elles sont bien souvent exclues du fait du manque d’accessibilité en langue des signes, ou de retranscription, et de leur faible niveau de maitrise de l’écrit. Par exemple, Yanis, Sourd et formateur en Langue des signes française (LSF) précise :

Pour les courses, c’est facile mais pour la communication, c’est un peu compliqué. (…) Les principales difficultés je dirais que c’est dans le travail, et ensuite pour le code de la route (…) et aussi dans le domaine médical c’est très difficile pour communiquer, et pour le journal aussi, on n’a rien !

Sa compagne, également Sourde et locutrice en LSF, ajoute :

Si on comprend pas on peut pas avancer, on peut pas vivre. (…) Par exemple une prévention, ou une alerte pour une tempête, il faut être alerté si quelque chose de grave se passe.

Pour rappel, les résultats de l’enquête quantitative ont montré que si les personnes sourdes et malentendantes passaient fréquemment par l’écrit pour communiquer avec autrui, la lecture est une tâche peu aisée, et plus difficile pour les personnes auto-décrites comme sourdes. Les messages de santé publique, ou relatifs aux risques climatiques et météorologiques sont ainsi au cœur de cette problématique de mise en accessibilité de l’information, comme cela a été pointé par plusieurs répondants, et des associations locales qui se font le relai de ces informations auprès de la communauté sourde :

On a pointé du doigt que pour tout ce qui était cyclones et des choses importantes il fallait que ce soit médiatisé, enfin accessible (…) ; c’est ce qu’on faisait nous à notre petite échelle, quand on avait de l’argent du département, on mettait en place des conférences d’information. Sur des démarches administratives, la santé, des thématiques d’actualité, des choses comme ça. Mais (…) C’est pas notre rôle. (Entendante, membre d’une association)

La désinformation a été tous azimuts donc ils [les sourds] se la sont prise de plein fouet, donc si personne ne les informe réellement, ils vont prendre la première information qui leur vient. (…) Les premières représentations des logos sur le sida ressemblent à des symboles du nucléaire donc pendant un moment, les sourds ont pensé qu’entre le sida et le nucléaire, il y avait un lien. (…) C’est pour ça que l’information est primordiale. (Orthophoniste en structure d’accueil de jeunes personnes sourdes et malentendantes)

A cet égard, l’accueil des personnes sourdes et malentendantes et l’accompagnement dans les démarches administratives sont des objectifs prioritaires des politiques publiques, comme l’indique l’agent chargé de la politique d’inclusion pour la Direction de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DEETS), qui précise également qu’une démarche d’« acculturation » des agents a été initiée dans ce sens afin de « finalement proposer, affiner et adapter un service public pour ces personnes qui ont ce déficit sensoriel ». Avec un retard notifié « dans le fait d’être en égalité de traitement des usagers ». Concernant plus particulièrement les établissements publics de santé, Jean-Louis, sourd oraliste et directeur d’une plateforme d’accessibilité, précise lors d’un entretien :

Vous avez parlé de la mairie, de la Caisse d’Allocations Familiales, des urgences, typiquement ce sont le type (…) d’établissements recevant du public qui vont avoir une obligation fondamentale d’accessibilité (…). Le secteur de la santé c’est le plus mauvais élève, et de très loin. (…) Quand on regarde le coût pour rendre accessible un hôpital aux sourds et malentendants c’est de l’ordre de 10 à 12 000 € par an. (…) Donc c’est une question de volonté, de mentalité. Et c’est encore plus amplifié dans les territoires d’Outre-Mer qui sont les parents pauvres.

L’accessibilité aux soins, tout au long du parcours, à commencer par la prise de rendez-vous avec un professionnel de santé, jusqu’à la prise en charge et au suivi de soins, est une problématique importante sur le territoire. Précédemment l’analyse par sous-groupe a montré que la population sourde rencontre des difficultés significativement plus grandes pour honorer ses rendez-vous médicaux. Lorsqu’ils sont interrogés sur leur façon de prendre rendez-vous avec un médecin, plus de la moitié (51,9 %, n= 28) des personnes sourdes et malentendantes indiquent être aidées par un tiers (par exemple, proche de la famille, ami). 37 % des répondants indiquent être autonomes (avec, vs sans difficulté, 14,8 %, n= 8, et 22,2 %, n = 12, respectivement). Concernant leur connaissance et leur utilisation de services de soins adaptés à l’accueil des personnes sourdes, ils sont plus de la moitié (54,4 %, n = 31) à indiquer n’avoir jamais eu recours à de tels services. 36,8 % (n = 21) y ont déjà eu recours, mais en France hexagonale ; pour près de 90 % de l’échantillon (87,7 %, n = 35), aucun service de soins adapté à l’accueil des sourds n’existe en Guadeloupe.

Plusieurs personnes sourdes et malentendantes et proches rapportent ainsi des expériences de manque d’accessibilité et de difficultés importantes de communication liées à la prise de rendez-vous, à l’accueil des urgences ou aux interactions avec des professionnels de santé :

Ça ce serait un avantage d’avoir cette langue des signes, et même à l’hôpital. Créer, même à l’hôpital, un pôle spécialisé pour les personnes sourdes. (…) La PCH est utilisée pour payer l’interprète mais après moi j’ai envie qu’on soit plus moderne, qu’on ait des choses adaptées à notre situation et à l’actualité et pas qu’on soit l’enfant pauvre de la France. (Raphaël, Sourd)

Par exemple chez le gynécologue, pour passer un I.R.M., pour le dentiste, il faut toujours un interprète. (…) Parce que c’est ma vie et j’ai envie de garder cette autonomie, de me débrouiller (…) c’est très compliqué l’hôpital il y a zéro interprète et à chaque fois s’il y a un accident c’est à nous d’appeler l’interprète pour qu’il vienne (…) Pareil quand ils expliquent comment prendre un médicament si on comprend pas, il peut y avoir des répercussions assez graves. (Sandra, Sourde)

Alors une accessibilité en langue des signes ça c’est très important notamment dans le domaine médical, c’est primordial. Le code aussi, et même à Pôle Emploi15 il faut qu’il y ait des gens qui sachent signer, et aussi dans le domaine judiciaire, la police et la gendarmerie, c’est important qu’il y ait de la langue des signes. Mais la priorité je dirais que c’est le médical. (Julie, Sourde)

L’enjeu d’inclusion des personnes dites handicapées dans la société repose sur la mise en accessibilité de tous les pans de la vie sociale. Or, s’agissant de la vie culturelle, là encore les lieux recevant du public, tels que les musées, ne permettent pas une participation sociale et une pleine expérience des offres culturelles aux personnes sourdes et malentendantes. En effet, le terme « accessibilité » est d’ailleurs souvent réduit à la mobilité, aux déplacements et au cadre bâti. Marc, Sourd, témoigne de son expérience alors qu’il se rend, accompagné de son fils entendant, au Mémorial ACTe à Pointe-à-Pitre, un lieu culturel et symbolique puisqu’il est dédié à la mémoire collective de l’esclavage, avec une ouverture sur le monde contemporain :

C’est important d’être informé au musée, par exemple sur l’histoire, notre origine est guadeloupéenne mais on n’a aucune information, il n’y a pas d’historien. Il y a des gens qui viennent de métropole mais qui ne sont pas au fait de la culture guadeloupéenne. Donc il nous faut vraiment un accès à l’histoire de nos ancêtres, de la Guadeloupe. (…) C’est important, c’est capital ! Même si on est sourd.

La participation sociale dans le champ de la citoyenneté est fortement entravée pour les personnes sourdes et malentendantes : précédemment, les résultats indiquaient en effet que parmi tous les items liés à la réalisation des habitudes de vie, le fait d’exercer sa citoyenneté est l’activité la plus difficile à accomplir. L’accessibilité, dans ce cadre, est donc fondamentale pour garantir aux sourds le plein exercice de leurs droits et un traitement égal de tous les citoyens :

Tout notre vécu et nos vies sont importantes aussi, même à la mairie il faudrait un interprète, pour que les sourds puissent comprendre, qu’il y ait une accessibilité et qu’ils puissent s’exprimer aussi car s’il n’y a pas d’affichage nous on est au courant de rien ou bien il y a des affiches qu’on n’arrive pas à lire. Il faut que les sourds puissent participer à la vie citoyenne donc on a besoin d’accessibilité au minimum, du côté citoyen. (Sylvie)

Le mot citoyenneté je trouve qu’il est adapté effectivement pour les entendants mais pour les Sourds, pour devenir citoyen c’est très compliqué. (…) On a l’impression de pas être complètement dans la société. Pour les entendants il y a cette possibilité d’évoluer, notamment pour devenir président, mais nous les Sourds on est toujours en bas de l’échelle (…). (Raphaël)

Compenser : des aides humaines insuffisantes

Interrogés sur l’aide globale dont ils ont besoin pour réaliser la plupart de leurs activités quotidiennes, les répondants indiquent, pour plus des deux tiers d’entre eux (71,9 %, n = 42), avoir besoin souvent (n = 20), ou parfois (n=21), d’aide au quotidien. Près d’un tiers (28,1 %, n = 16) affirment n’avoir jamais ou presque besoin d’aide pour accomplir leurs activités.

De façon générale, les répondants affirment, à 66,7 %, avoir besoin d’une aide humaine dans l’accomplissement de leurs tâches au quotidien (n = 38, vs 33,3 %, n = 19). Plus précisément, cette aide provient essentiellement de l’entourage, pour près de la moitié des personnes sourdes et malentendantes (45,9 %, n = 17), de professionnels (tel que l’interprète ; 18,9 %, n = 7) ou des deux (proches et professionnels, 35,1 % n = 13). Plusieurs enquêtés rapportent ainsi :

Oui c’est très compliqué pour moi, par exemple aller chez le médecin, je suis obligée d’appeler ma sœur mais si elle est occupée qu’elle travaille dans ce cas je suis complètement bloquée, et si l’interprète est occupé je peux pas non plus faire appel à elle donc j’y vais seule et je me débrouille (…). (Sylvie, Sourde, locutrice LSF)

Pour les professionnels de santé, je prends ma sœur ou un proche de ma famille. (…) On me dit souvent vous devez prendre rendez-vous par téléphone et non pas venir sur place. (…) J’ai déjà dit je ne peux pas appeler je suis sourde c’est pour ça que je viens sur place il faut que je fasse appel à mes parents ? Comment je fais. (Julie, Sourde, locutrice LSF)

La sollicitation d’un proche peut aussi générer des freins dans des consultations relevant du secret médical, ou créer des situations inconfortables pour le partenaire, qui cumule les rôles – dont celui d’interprète ;

Mon rôle c’est celui de maman, ce n’est pas le rôle de traduction et je me retrouve très souvent dans cette situation-là (…) L’hôpital, tous ces trucs-là, la mairie, l’administration. Mon compagnon c’est moi qui fais les démarches sur les trois quarts des choses. (Sophie, entendante, compagne d’un sourd)

Face au manque d’accessibilité dans l’espace public et les administrations, bien souvent, c’est la personne sourde qui initie le recours à l’interprète, et ce à ses frais ; celui-ci sort parfois également de son « rôle » initial :

Quand tu vois des gens, et aussi bien à la MDPH [Maison Départementale pour les Personnes Handicapées16]­, j’hallucine. Quand on te dit « vous pouvez pas lui remplir son papier ? » Moi je suis interprète, je suis pas assistante sociale ! « Oui mais vous imaginez pas, et machin il faut l’aider » mais non, c’est pas mon rôle, c’est votre rôle. Et je leur ai dit « pourquoi vous ne mettez pas une permanence, avec une personne signante ? » (Interprète en LSF)

A cet égard, de nombreux dysfonctionnements et irrégularités ont été pointés par les répondants concernant leurs démarches administratives auprès de la MDPH, et les aides et compensations perçues en conséquence17. L’examen des pratiques des MDPH révèle une évaluation différenciée et parcellaire des besoins de compensation des personnes en situation de handicap18. En parallèle des délais de traitement qui engendrent de nombreuses ruptures de droits, le Défenseur souligne les inégalités territoriales. A titre d’exemple, l’inadéquation des tarifs de la PCH (Prestation de compensation du handicap) pour couvrir les besoins réels des personnes handicapées, et le reste à charge qui en découle pour les bénéficiaires. Une professionnelle de la surdité, orthophoniste en libéral, rapportait ainsi en entretien :

Le point le plus noir c’est la MDPH. C’est-à-dire qu’ils [les personnes sourdes et malentendantes] font des demandes, de reconnaissance de leur handicap, qui partent dans des dossiers, qui durent un an, deux ans et ils sont même pas rappelés. Il y en a qui n’aboutissent jamais et très peu aboutissent. Donc c’est vraiment catastrophique. (…) Il y a même certains qui ne touchent plus l’allocation, la PCH. Ils savent pas pourquoi, ils font les relances, ils ont personne.

Pour contacter les services publics, les personnes sourdes et malentendantes doivent pouvoir bénéficier d’une « traduction écrite simultanée et visuelle de toute information orale ou sonore les concernant » (article 78 de la loi no 2005-10219). Depuis 2018, en France hexagonale, les opérateurs de réseau mobile se doivent de fournir un service gratuit de relais téléphonique à l’ensemble de leurs souscripteurs souffrant d’une perte auditive. Pour les départements et régions d’Outre-Mer, il est à présent possible d’effectuer des appels téléphoniques, mais aux horaires de la France continentale ; ainsi aucun centre-relai spécifique n’existe en Guadeloupe :

On a besoin d’interprète, il y a un réel manque, c’est vrai qu’il y a déjà des centres relais téléphoniques mais ici il n’y en a absolument pas et en plus avec le décalage horaire c’est compliqué d’appeler, donc il faut vraiment créer un centre de relais téléphonique en Guadeloupe. (…) Dans le domaine privé comme dans le domaine public effectivement on voudrait une égalité complète avec les entendants. (Léa, Sourde et formatrice en LSF)

Le problème des Sourds, c’est vraiment d’appeler. Roger Voice est compliqué, il faudrait créer un service ou un pôle d’interprète ici en Guadeloupe (…) et aussi la possibilité d’appeler librement sans passer par la France. (…) On a beaucoup de retard ici. (Raphaël, Sourd)

Revendications identitaires : « Si tout le monde signait, il n’y aurait plus de handicap ! »

Contours de la surdité et identité(s) sourde(s)

La population sourde et malentendante recouvre une grande hétérogénéité de profils et une diversité des parcours, ce qui ne permet pas d’établir précisément une « typologie du sourd ». La distinction entre les personnes sourdes de naissance, et celles qui sont « devenues » sourdes est importante puisque ce sont ces dernières qui font véritablement l’expérience d’une rupture biographique et d’un bouleversement de leur quotidien. Pour les premières, la surdité est une composante de l’identité. Lydie, entendante et mère d’une adolescente sourde, l’explique en entretien :

Parce que quelqu’un qui devient sourd, qui est malentendant à 50 ans ou 60 ans, ou par accident c’est autre chose, que celui qui naît sourd, qui se développe différemment, et moi j’adhère tout à fait au concept de culture et d’identité. Je pense qu’il faudrait dire qu’un malentendant en fait c’est l’entendant qui a perdu. (…) Imaginez-vous quelqu’un qui a connu l’audition : il ne peut pas le vivre de la même façon que celui qui ne l’a jamais connue. (…) On ne souffre pas de ce dont on ne sait pas.

Dans notre enquête, nous tenions à distinguer les personnes sourdes des malentendantes. Mais la différence est-elle seulement liée à la précocité de la perte ? est-ce le degré, l’intensité de la perte qui les distingue ? le moment, ou la situation évoquée (par exemple, un sourd qui retire sa prothèse auditive en rentrant du travail) ? c’est le risque d’une définition médicale ou fonctionnelle qui est là pointé, en masquant également les dimensions subjectives, identitaires et l’aspect culturel du monde sourd. Interrogeant l’artificialité de ces distinctions, Éloise, Sourde et locutrice en LSF, explique ainsi en entretien :

Qu’est-ce que ça veut dire pour vous malentendant ? C’est quoi le sens précisément parce que pour les sourds, parfois on a l’impression que c’est un mot inventé. Parce qu’un malentendant c’est un mauvais sourd, ou c’est un mauvais entendant ?
(…) Il y a des personnes sourdes qui ont un reste auditif. Il y a des personnes qui ont perdu l’audition qui ne savent pas signer, et moi je pense qu’elles sont exclues parce qu’elles n’ont aucune langue (…). Mais nous à l’heure actuelle, il y a des sourds, des malentendants, des personnes implantées, des entendants et tous ces mots-là j’ai envie de les mettre de côté, j’avais pas envie de stigmatiser les personnes ; nous on en a souffert. Moi par exemple je peux parler, mais du coup on me dit « tu es une fausse sourde car tu entends un peu ». Et du coup ça questionne mon identité et ça me gêne.

Le mode de communication privilégié est également une dimension importante de l’identité sourde, déplaçant le critère sensoriel de « l’oreille », vers celui d’une culture commune – en rappelant que le handicap est relatif :

Si tout le monde signait, il n’y aurait plus de handicap ! (Interprète en LSF)

Lors d’un entretien, une audioprothésiste témoigne de la diversité des profils qu’elle reçoit en alertant sur les risques de biais liés à notre méthode d’échantillonnage, puisqu’elle est favorisée par le relai associatif : il s’agit d’approcher également les sourds faisant le choix d’un retour vers le monde entendant, vers l’oralisation. Effectivement, notre échantillon comporte très peu de sourds oralisants, non locuteurs en langue des signes. Le témoignage de Jean-Louis, sourd profond oralisant, non locuteur de la LSF, est à cet égard édifiant : il valorise la multiplicité des moyens de communication :

Moi non plus je ne signe pas (…) je suis une personne sourde oraliste qui a grandi dans la filière classique avec des entendants. (…) Je pense qu’il y a un phénomène qui va s’étendre, c’est le bilinguisme (…) ; [car] quand il s’agit de commencer les études supérieures et la vie active, le fait de maitriser l’oralisation ou a minima le français écrit c’est une clé qui est indispensable pour évoluer et avoir une carrière. (…). Après il y a des personnes, des parents, par exemple qui disaient « j’espère que mon fils sera sourd » : pour eux la surdité c’est plus qu’une culture, c’est un pays ! avec sa langue, son drapeau etc… ok, j’espère aussi que tu lui donneras les clés parce qu’être sourd, c’est pas rigolo tous les jours non plus. Surtout si on pratique pas la langue principale du pays dans lequel on vit !

Raphaël, en accord avec l’approche sociale du handicap, déplace la perspective vers l’organisation environnementale et sociale. Il explique que c’est le regard des valides qui l’infériorise ou le limite, en ramenant sa surdité à une limite, un manque. Lui, il rejette les catégories prédéfinies, délimitées par les entendants :

Je me considère comme Sourd, ou malentendant, en fait j’ai les deux casquettes, les deux identités. (…) Moi je me sens au milieu. Je me sens comme un hybride. (…) Moi je me définis pas comme limité, ce sont les autres personnes qui sont limitantes par rapport à moi. C’est quand ils me regardent, en tant que sourd. (…) Les entendants, quand ils me regardent.

Les données issues du questionnaire relatives à la discrimination perçue (sentiment de mise à l’écart de la vie sociale du fait de sa déficience auditive) complètent ces éléments : les répondants sont presque 70 % à indiquer percevoir une discrimination importante (22,8 % estimant qu’elle existe, mais faiblement, et 8,8 % indiquant n’en ressentir aucune). D’un point de vue statistique, les différences observées entre les groupes (auto-désigné sourd, vs autre) ne sont pas significatives (test du Chi2, p = 0.1), indiquant que les malentendants font également face à des obstacles importants dans l’environnement social.

Et les « devenus sourds » ? l’entre-deux mondes

Alexa est devenue sourde tardivement, peu de temps avant sa retraite. Elle a subi une implantation bilatérale qu’elle estime forcée, mais dont l’urgence s’expliquait par une ossification cochléaire rapide. Elle a fini par accepter ses implants et ne pourrait plus s’en dispenser, même si son identité est devenue « composite », plurielle :

Je le suis devenue [sourde], et ça fait une grosse différence. (…) J’ai dit « je ne suis pas sourde, je ne suis pas entendante. Je suis entre les deux. ». Et j’arrive à me sentir très à l’aise, que je sois sourde, malentendante ou devenue sourde. Ça ce sont les trois identités avec lesquels je jongle. Par exemple le matin, quand je me réveille, je suis complètement sourde. Après…

Qu’en est-il de la surdité acquise ? du malentendant ou du devenu sourd, de l’entendant qui perd brutalement, ou progressivement l’audition, et qui découvre, ou se familiarise avec ce nouveau rapport au monde ? le concept de liminalité, ou situation de seuil imposée à la personne handicapée (Murphy, 1993 ; Quentin, 2019), est ici éclairant : « mauvais entendant » et « mauvais sourd », souvent non locuteur de la langue des signes, non intégré dans la communauté sourde ou dans le monde associatif, il est placé à la marge, entre les deux mondes :

Pour une personne qui devient malentendante, il y a un deuil à faire. Ils ne sont pas fédérés, il n’y a pas une communauté de malentendants, autant les sourds ont une identité et une culture, alors que le malentendant, en fait il est presque plus mal loti. Son collectif de travail l’éloigne, et lui il s’isole, donc c’est l’exclusion absolue en fait. La déficience auditive c’est ça, petit à petit ils participent plus aux conversations, ils sont plus discrets, ils répondent pas… et les collègues le reprochent ou disent « bon je t’expliquerai plus tard ». (Référente PRITH, Plan régional d’insertion des travailleurs handicapés)

Alors le malentendant, c’est le plus malheureux là-dedans ! (…) tant qu’il ne s’est pas construit une identité propre, il va être malheureux. Il va être entre les deux mondes. (…) D’autant plus qu’il fait illusion. (Responsable, structure d’accueil de jeunes sourds)

Quand vous parlez de surdité, n’excluez pas les malentendants (…) vous et moi demain. Qui pouvons perdre l’audition (…). Les malentendants sont les mal-aimés de la surdité, c’est dingue. Les sourds, il y a une communauté sourde, il y a une culture sourde, une identité sourde, une langue des signes (…). Les malentendants, en fait j’entends mal mais j’entends quand même, je fais partie du monde des entendants. (Responsable, association)

Refuser la réparation : « je suis sourd, et c’est comme ça ! »

La systématisation du dépistage auditif néonatal montre l’évolution des pratiques concernant les surdités de l’enfant, en tenant compte du rôle majeur de la précocité du diagnostic et de la prise en charge. En accord avec les recommandations de la Haute Autorité de Santé20, le discours médical valorise la proposition d’aides techniques en réponse à un diagnostic de surdité : les surdités de perception relèvent d’un appareillage auditif, et les plus importantes, d’une implantation cochléaire.

Certains professionnels de santé ont un discours nuancé, en valorisant la neutralité et le devoir d’information éclairée qu’ils doivent respecter dans l’accompagnement et le conseil aux familles. Toutefois, les données collectées suggèrent que la majeure partie des acteurs de la surdité intervenant dans le champ médical ont un positionnement valorisant les aides auditives. Du point de vue médical, cette réponse réparatrice, visant l’oralisation et la récupération totale ou partielle de l’audition, est proposée idéalement de façon précoce. Les arguments avancés concernent garantir les acquisitions et amoindrir les difficultés d’apprentissage. De plus, l’abandon plus tardif de l’aide technique, à l’âge adulte, reste possible – là où l’inverse est plus difficile :

Que les sourds transmettent leur culture, c’est normal, c’est leur culture. Mais vous vous êtes entendante, vous transmettez à votre enfant votre culture, vos valeurs, et après ce sera plus facile de faire le chemin inverse, si un jour il veut il aura la possibilité de ne plus porter les processeurs ; l’inverse est impossible. Au-delà d’un certain âge l’implant n’apporte plus rien. (Carine, audiologiste)

OK ma fille mais moi si j’ai fait ce choix pour toi, tu avais 16 mois j’avais envie que tu aies la possibilité d’entendre et de parler. Maintenant tu l’as, maintenant tu enlèves tes processeurs, on apprend la LSF ensemble, c’est ta communauté, ton identité, je le respecte mais je t’ai donné les possibilités d’entendre et d’écouter. (Clara, mère d’une jeune implantée)

Interrogés sur la possession d’aides auditives, plus de la moitié des répondants (58,9 %, n = 33) indiquent ne pas ou peu utiliser, ou ne pas avoir besoin d’appareil auditif, et 50 % (n = 28) n’en possèdent pas. La plupart des participants (80,7 %, n = 46) ne sont pas implantés et considèrent ne pas avoir besoin d’implant cochléaire, ou refusent l’implant. L’enquête qualitative révèle que de nombreux sourds éprouvent des gênes, voire des douleurs (maux de tête, acouphènes, hypersensibilité à certains sons) liées au port d’aides auditives :

[les sourds] disent que ça fait beaucoup plus de bruit, que ça nuit, que ça fatigue. Les implants des fois ça fait des décharges électriques. Les sourds font des bonds par moment, ils sont toujours dans le bruit, même la nuit du coup, s’ils enlèvent le récepteur ils disent qu’ils entendent un bruit qui n’a pas de sens, qui gêne. Ça augmenterait les acouphènes. (Lydie, entendante et mère d’une sourde)

A l’école j’étais obligée d’avoir un appareil mais ça marchait pas, le peu de son que j’avais, ça me donnait mal à la tête ; jeune j’avais toujours mal à la tête. (Jenny)

A l’âge de trois ans j’ai eu deux appareils. (…) Je les ai enlevés, et j’étais bien, j’ai eu envie d’être naturel, normal : je suis sourd, et c’est comme ça ! (Jean)

Du point de vue des professionnels de santé, ces difficultés rencontrées ne sont pas le fait de l’aide technique elle-même, mais liées à des mauvais ajustements ou réglages, notamment pour l’implant cochléaire. Les parents des personnes sourdes et les membres de la communauté dénoncent quant à eux une surmédicalisation, et la prégnance d’une approche médicale de la surdité qui opère dès le diagnostic, comme le confient respectivement Lydie et la responsable d’une association – centre de formation :

J’appelle ça un pouvoir médical parce qu’au début je l’ai vécu comme un pouvoir exercé sur moi (…) Au départ il y a une erreur. On part pas par une communauté différente, on rentre par le soin donc du coup, on rassemble tous les gens qui ont des problèmes d’oreilles alors qu’en fait, ils n’ont pas du tout les mêmes besoins. On part du soin et on le voit un peu comme une maladie. (…) Il faudrait aborder chaque handicap comme ça individuellement et en tant qu’identité différente et non pas en tant que comment on les soigne.

La difficulté qu’on a dans la surdité, c’est qu’il y a le conflit qui revient en permanence : vous avez d’un côté le corps médical qui veut réparer la surdité, et de l’autre côté la communauté sourde qui revendique sa singularité.

La considération des Sourds comme une entité linguistico-culturelle pourrait être soutenue par le monde associatif, pourtant peu présent dans les premiers temps du diagnostic et de suivi de l’enfant. Pour la communauté sourde, l’essor de l’implantation témoigne d’une volonté de normaliser, réparer les corps dits déficients, avec la crainte de voir disparaitre la langue des signes :

C’est pour ça qu’on parle vraiment de minorité culturelle et linguistique. Ils n’ont pas eu de manque au départ, ils sont nés comme ça. (…) Maintenant avec le dépistage précoce, chaque enfant est dépisté tout de suite, il faut tout de suite le réparer. Voilà. Implanter, Réparer, les blouses blanches. (…) les parents entendants qui ont des enfants sourds, ils sont pas informés, et c’est tout de suite la blouse blanche qui arrive. Tout de suite l’aspect médical, la réparation. Le concept de réparer. (…) C’est une barrière linguistique, c’est une minorité culturelle. C’est pas comme n’importe quel handicap et ça devrait même pas faire partie du pôle santé. (Interprète LSF)

Dès qu’ils font le dépistage ils informent les parents mais ils ne leur disent pas qu’il y a des associations de sourds, c’est tout de suite l’implant. (…). La langue des signes nous permet d’évoluer alors que l’implant, non. (…) On veut tout de suite payer l’implant parce que c’est de l’argent et que c’est rentable. Alors que la langue des signes c’est pas rentable. Et donc la première solution c’est leur stratégie, c’est la stratégie médicale. (Raphael, Sourd)

Identité Sourde… et guadeloupéenne ? l’intersectionnalité en creux

Dans les années 1990 et 2000, l’analyse croisée des caractéristiques des personnes dites handicapées s’inscrivait dans une approche en termes d’inégalités sociales (Winance, 2021). Les mouvements sociaux de personnes handicapées, mais aussi féministes, gay ou ethniques, ont proposé de nouvelles approches théoriques et politiques du handicap, du genre, de l’appartenance ethnique, en termes de construction et de processus sociaux (Ibid). Une perspective plus récente suggère ainsi d’appréhender la complexité de l’expérience du handicap, en d’autres termes de le conjuguer « au pluriel » (Mormiche, 2000), via la notion d’intersectionnalité (Crenshaw, 2005). Cette approche rend compte du caractère cumulatif des registres de discriminations, et de la situation de désavantage et de discrimination singulière qui en découle. Ces intrications produisent des expériences différentes de la domination, qui peut donc avoir de multiples sources – leurs effets respectifs s’additionnant.

Dans notre enquête, l’approche genrée n’a pas été privilégiée, mais la thématique a parfois émergé sous l’angle des violences sexuelles que peuvent subir les femmes sourdes. Concernant l’appartenance ethnique, les expériences d’oppression dont ont pu faire part les enquêtés renvoient à la domination sur le plan linguistique (français vs créole), qui se surajoute à celle de la culture oraliste et entendante (langue française vs langue des signes), même si en creux peut se lire l’oppression exercée par la Métropole. Manon, entendante investie en association, originaire de France continentale, explique en entretien :

Ça date d’il y a même pas 50 ans où il y a une reconnaissance vraiment de langue des signes, ce qui fait que toute cette aigreur et tout ça, c’est comme regarde tu vois bien au niveau de la Guadeloupe, au niveau de l’esclavage, et ça impacte encore sur toutes les relations. C’est encore présent, donc tu imagines même pas les Sourds, pour qui c’est plus récent encore. (…) Donc ils ont le double, ils ont la double aigreur au final, au niveau guadeloupéen, je pense qu’ils ont dû aussi avoir ce sentiment qu’ils se faisaient, que certains s’étaient faits avoir, qu’ils avaient été soumis à, et donc là c’est la soumission envers les entendants, les entendants veulent tout gérer à notre place. Et donc il y a le double rapport : entre la Métropole, et les entendants.

Un enseignant-chercheur Sourd, également originaire de France hexagonale, ayant réalisé un travail historique sur le territoire guadeloupéen et plus particulièrement sur Auguste Bébian, aborde également en entretien le concept d’intersectionnalité. C’est un champ récent, en construction et à nourrir par le débat scientifique dans les travaux portant sur l’étude des expériences liées au handicap. Il précise ainsi [précédemment durant l’échange avec l’enquêtrice, l’interprète ne comprend pas le terme intersectionnalité, il l’épelle à l’aide de la dactylologie et le définit en abordant la notion de « race », entendue comme construction sociale] :

Chercheur : oui la question « raciale », enfin si on peut la nommer comme ça.
Enquêté : Je sens que c’est beaucoup plus fort en Guadeloupe. Par exemple tu connais V. ?
Oui oui
Et bien elle, elle a subi une double discrimination et même triple en tant que femme, noire et sourde. Et ça moi j’ai été très surpris de le découvrir car à l’époque, c’était la première fois que je me rendais en Guadeloupe, et je sentais qu’il y avait plus de Noirs mais qu’ils étaient beaucoup plus sensibles à la discrimination, ils en avaient beaucoup plus l’expérience, beaucoup de discrimination en tant que sourds (…). En France, ça commence à émerger la notion d’intersectionnalité mais là en France les sourds Noirs il y en a très peu, en Guadeloupe bien sûr il y en a plus donc c’est plus prégnant. (…) ils ont une sensibilité à la discrimination qui est beaucoup plus forte. (…) Quand j’y pense, sur l’identité créole, je l’ai pas forcément vue sur les sourds. Pour moi elle est comme effacée, mais il y a l’identité Sourde qui est là (…) et j’ai l’impression que c’est pas fini en termes de construction (…) depuis douze ans on va dire, je comprends davantage cette idée d’intersectionnalité.

Pour d’autres informateurs, ces questions identitaires et relatives à la domination sont liées à la langue et à l’impossibilité, pour les Sourds de Guadeloupe, de se construire pleinement, l’enjeu étant l’appropriation des spécificités locales. La langue créole21 est en effet peu présente dans la Langue des Signes Française, même si certains signes sont adaptés au contexte socio-culturel :

Pour les sourds oui, il y a une identité propre. Un sourd guadeloupéen c’est pas un sourd français. Déjà ils ne signent pas pareil pour beaucoup de choses. Pâques effectivement c’est le crabe22 ; ou encore maman. Célibataire aussi. Ici c’est la coiffe. Donc ça prend des éléments très culturels et pour le coup comme ils ont tous été isolés, ils l’ont développé de façon un peu endémique et pour le coup je trouve qu’on voit des choses très culturelles (…) j’avais lancé l’idée d’une brochure, d’un petit dico de LSF purement antillaise. Parce que quand tu dis à Pâques on se voit, le martiniquais [habitant de Martinique, île voisine de la Guadeloupe] te comprend. Le Creusot [habitant de la Creuse, département français] lui ? Qu’est-ce que tu veux faire avec le crabe ? (Orthophoniste)

C’est la langue des signes française, de Métropole. Donc le fruit à pain23, on disait fruit – à – pain (rires). Septembre, c’est raisin24. Mais ici c’est complètement… il faut que ce soit local. Aussi bien au niveau mentalité, au niveau linguistique, au niveau culture. C’est déconnecté. À chaque fois c’est la métropole qui influence. Et du coup ici c’était toujours après, après. Là ça fait quelques années qu’ils songent à créer un laboratoire linguistique. (Interprète en LSF)

Je pense qu’il y a une certaine oppression on va dire de la métropole en tout cas des Sourds métropolitains sur les Sourds guadeloupéens (…) les structures extérieures à la Guadeloupe qui ne connaissent pas la culture et qui veulent imposer la culture métropolitaine en Guadeloupe. Ça c’est pas possible, ça donne un réel frein aux Sourds qui du coup ne s’y retrouvent plus et ne savent plus comment avancer, et qui perdent la culture dans laquelle ils vivent au quotidien pourtant. (Éloïse)

Discussion et Conclusion

La situation sanitaire et sociale n’est pas homogène sur le territoire français, mais les disparités territoriales ne sont pas que le fait des caractéristiques géographiques (insularité, éloignement) des Outre-Mer. Les inégalités sociales et territoriales y sont plus importantes que sur le reste du territoire national, et persistent, voire s’aggravent. Difficultés économiques et sociales, accès inégal aux services publics, inégale répartition des dispositifs sanitaires, infrastructures dégradées… sont autant de problématiques mentionnées par les populations, interrogeant les objectifs d’égalité réelle consacrés par la loi. En matière de santé publique, la différenciation des objectifs en faveur des Outre-mer est désormais prévue par le cadre législatif : les objectifs de la stratégie nationale de santé (2018-2025) sont complétés d’objectifs sanitaires propres à ces territoires25.

L’enquête DECIBEL-G (DEfiCience audItive : Besoins et Leviers en Guadeloupe) est la première étude, à partir d’une méthodologie mixte, à s’intéresser spécifiquement aux parcours de vie et de soins, et aux besoins de la population sourde et malentendante de l’archipel guadeloupéen. Pour la majorité des participants, la surdité est de naissance ; sans aide ni compensation, il leur est impossible ou très difficile d’entendre une conversation, révélant un degré de surdité important. La plupart des enquêtés sont locuteurs de la langue des signes française, et s’auto-définissent comme sourds. Pour les malentendants ou « devenus sourds », il s’agit de considérer les reconfigurations sociales et identitaires particulières, générées par la « rupture biographique » vécue (Bury, 1982).

Les données liées à la participation sociale montrent de fortes limitations, voire des situations de handicap rencontrées dans la vie quotidienne. La majorité des participants déclare éprouver, du fait de leurs troubles auditifs, une limitation dans des activités que les gens font habituellement, et la réalisation des habitudes de vie est fréquemment contrainte par le besoin d’une aide humaine – en particulier, d’un proche. Les activités dont la réalisation est la plus difficile concernent l’exercice de sa citoyenneté, le suivi des actualités, la réalisation de démarches administratives et liées aux soins, ainsi que la vie culturelle et liée aux loisirs.

Dans les discours des enquêtés, c’est le manque d’accessibilité qui constitue le principal obstacle environnemental à la participation des personnes sourdes et malentendantes, qu’il s’agisse de cette population, de leur entourage, ou des acteurs de la surdité. Les associations locales jouent à cet égard un rôle de relai et d’espace de socialisation essentiels. En matière de santé, l’accès aux soins est un enjeu fondamental, mais il implique une possibilité de communication, et de compréhension des professionnels de santé. L’accès aux prestations d’interprétariat est difficile, coûteux, et nécessite d’avoir pu anticiper et organiser l’intervention.

Pour la communauté sourde, les mesures compensatoires – appareillage et implant – rendent compte d’une vision déficitaire de la surdité et d’une « idéologie de la réparation ». Si à l’adolescence, sous l’enjeu de la comparaison sociale, la quête identitaire vise plutôt à masquer sa déficience et à devenir normo-entendant, l’adulte sourd tend à affirmer son identité spécifique en se rapprochant de l’endogroupe. Le retrait des prothèses auditives ou le refus de l’implant coïncide alors, au-delà de l’insatisfaction liée à l’outil, avec des revendications identitaires et l’essor d’un sentiment d’appartenance communautaire.

Enfin il s’agit, dans les travaux de recherche, d’appréhender la complexité des expériences du handicap en considérant davantage l’entremêlement de plusieurs rapports sociaux, et le caractère cumulatif des registres de discriminations. A cet égard, les travaux issus des Black Disabilty Studies et plus particulièrement des Black Deaf Studies proposent de tisser des liens entre les différentes expériences identitaires, et d’analyser l’intersection de différentes appartenances communautaires. Malgré la référence à une histoire internationale et nationale commune, et une uniformité de certaines revendications, permettant une comparaison des communautés sourdes (par exemple en France et au Québec, Dalle-Nazébi et Lachance, 2005), les contextes régionaux contribuent à des configurations identitaires et des mobilisations collectives singulières, appelant à des analyses plus locales. Les langues des signes sont ainsi au cœur des revendications locales, en devenant des objets « politico-identitaires » (Gaucher, 2009), et le désir de reconnaissance des particularités linguistiques anime ces dynamiques. La Black American Sign Language (BASL), constitue ainsi un dialecte issu de la langue des signes américaine (ASL), développé au sein des communautés sourdes afro-américaines, historiquement ségréguées (McCaskil et al., 2011 ; Toliver-Smith et Gentry, 2017). En Guadeloupe, la communauté sourde est également caractérisée par une double identité, une appartenance à deux groupes sociaux potentiellement infériorisés, générant une situation de désavantage et de discrimination singulière. L’oppression (du monde entendant, et de la France hexagonale, ancienne Métropole) subie par les Sourds s’inscrit notamment dans les enjeux linguistiques, liés à la place du créole et à l’appropriation progressive des spécificités locales véhiculées par la langue des signes française en Guadeloupe.

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Notes

1 L’étude a été menée par le Centre de Ressources – Observatoire des Inadaptations et des Handicaps de Guadeloupe (URIOPSS-CR-OIH), en collaboration scientifique avec l’Université des Antilles (laboratoire ACTES), et avec le soutien opérationnel de l’association Bébian Un Autre Monde. Retour au texte

2 Les Agences Régionales de Santé (ARS) sont chargées du pilotage régional du système national de santé, en France. Retour au texte

3 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/ressources-et-methodes/les-donnees-statistiques-sur-le-handicap-et-lautonomie Retour au texte

4 La France hexagonale ou métropolitaine, également appelée la Métropole, désigne la partie de la République française localisée en Europe. Elle se différencie ainsi de la France d’outre-mer, c’est-à-dire les parties de la République française précisément situées en dehors du continent européen. En 2018, un amendement a été déposé pour que le terme « métropole », jugé colonial, soit remplacé par « France hexagonale » dans la Constitution française. Il fut rejeté en 2021. Le 23 mai 2023, l’Assemblée nationale adopte à l’unanimité un amendement demandant l’abandon du terme « métropole » au profit d’« Hexagone » dans la loi de programmation militaire. Ces avancées sémantiques sont donc pour l’instant circonscrites à ce texte, et récentes : ainsi, les travaux scientifiques, enquêtes nationales ou textes publics (par exemple, les rapports du Défenseur des Droits en France), mentionnent encore les termes « métropole » ou « France métropolitaine ». Précisons que l’usage de ces termes dans nos précédents travaux (Ruffié et Villoing, 2020 ; Villoing et al., 2016 : Ferez et Ruffié, 2015 ; Villoing et Ruffié, 2014) ne reflète aucunement un positionnement néo-colonial, bien au contraire. Nous nous attachons, dans ce travail et dans de futures contributions, à respecter ces avancées et à « décoloniser les mots », selon l’intitulé de l’amendement à l’origine de l’examen de cette loi, et porté par le député guadeloupéen Olivier Serva. Retour au texte

5 https://www.who.int/fr/news/item/02-03-2022-who-releases-new-standard-to-tackle-rising-threat-of-hearing-loss Retour au texte

6 L’Agence Régionale de Santé Guadeloupe (ARS) a commandité l’enquête, avec une insistance pour mener celle-ci auprès de la population des personnes sourdes et malentendantes dans son ensemble (sans restriction à la communauté sourde). Retour au texte

7 Le sentiment d’appartenance à la communauté sourde et la reconnaissance d’une identité culturelle, historique et d’une langue partagées par ses membres, sont retranscrits dans l’écriture du terme « Sourd », avec majuscule, là où « sourd » renvoie à une condition physiologique, selon la distinction issue de l’Université Gallaudet entre « deaf » et « Deaf ». Si initialement nous avions tenté de tenir compte de la neutralité du discours et/ou de la posture de l’informateur (e.g., une orthophoniste évoquant « les sourds » ; un Sourd, locuteur LSF et militant engagé dans le milieu associatif, mentionnant « la citoyenneté des Sourds »), une harmonisation de l’écriture du terme (en minuscules) tout au long du texte nous a semblé préférable. Retour au texte

8 https://www.defenseurdesdroits.fr/rapport-la-mise-en-oeuvre-de-la-convention-relative-aux-droits-des-personnes-handicapees-cidph-278 Retour au texte

9 Défenseur des droits, « Appel à témoignages auprès des résidents d’outre-mer. Les outre-mer face aux défis de l’accès aux droits. Les enjeux de l’égalité devant les services publics et de la non-discrimination », 2019. https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=19235 Retour au texte

10 « Sourds en Guadeloupe », Yanous.com, 15 février 2019, https://www.yanous.com/tribus/sourds/sourds190215.html (consulté le 12 septembre 2024). Retour au texte

11 Ibid. Retour au texte

12 La LSF « créole » n’a pas d’existence officielle et son histoire n’a pas encore été reconstruite, mais les discours des interviewés montrent bien que des adaptations ont été effectuées par rapport à la LSF, en témoigne l’intégration d’éléments du créole guadeloupéen. Retour au texte

13 Respondent Driven Sampling (RDS), “échantillonnage guidé par les répondants” (Heckathorn, 1997). Cette procédure d’échantillonnage fait le pari qu’en favorisant une implication des enquêté‑e‑s et la mobilisation de leurs réseaux personnels, on peut entretenir une dynamique de recrutement sur un nombre important de vagues. Retour au texte

14 Caisse d’Allocations Familiales : organisme de droit privé, à compétence départementale, chargé de verser aux particuliers des prestations financières à caractère familial ou social (prestations légales). Retour au texte

15 Pôle Emploi, ancienne appellation de France Travail (depuis janvier 2024) : établissement public à caractère administratif, chargé de l’emploi en France. Retour au texte

16 Les Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées MDPH ont une mission d’accueil, d’information, d’accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation des citoyens au handicap. Retour au texte

17 Au sein des MDPH, c’est la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) qui est chargée de prendre les décisions ou de rendre les avis suite à l’évaluation de la situation de handicap, réalisée par une équipe pluridisciplinaire. Ces décisions ou avis sont transmis aux organismes compétents pour l’attribution de certains droits dont l’Allocation aux adultes handicapés (AAH), la Prestation de compensation du handicap (PCH), ou encore la Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) (monparcourshandicap.gouv.fr) Retour au texte

18 https://www.defenseurdesdroits.fr/rapport-la-mise-en-oeuvre-de-la-convention-relative-aux-droits-des-personnes-handicapees-cidph-278 Retour au texte

19 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000033220166 Retour au texte

20 https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2018-10/aides_auditives_avis.pdf Retour au texte

21 Le créole guadeloupéen (kréyòl gwadloupéyen) est une langue formée au XVIIIème siècle à partir du français, et reflétant l’histoire de ses locuteurs : les descendants des esclaves des Antilles françaises, et d’immigrés venus de l’Inde. Retour au texte

22 En Guadeloupe, le crabe de terre est le mets traditionnel consommé durant les fêtes de Pâques (notamment dans le Matété a krab, plat à base de crabes mijotés). Il s’agit d’une tradition héritée du temps de l’esclavage » (les esclaves n’ayant pas le droit de consommer de la viande durant le Carême). Retour au texte

23 Le fruit à pain ou fruit de l’arbre à pain (Artocarpus altilis), également appelé rimier, espèce tropicale inexistante en France continentale. Sans signe spécifique, l’interprète ou le locuteur en LSF doit donc décomposer le terme en « fruit » et « pain » (l’aliment à base de farine et eau). Retour au texte

24 L’informateur fait référence au fait que les vendanges (la récolte du raisin) ont lieu en septembre en France hexagonale ; il n’y a pas de vignes en Guadeloupe, du fait des contraintes climatiques. Une autre informatrice a repris en entretien l’exemple de septembre/du raisin : « par exemple « septembre » on va dire, ça se signe comme « raisin » parce qu’il y a des vendanges, et donc en France effectivement on a formé ici septembre égale raisin. Mais en Guadeloupe ça n’a pas de sens. Pour nous. Puisque les sourds se disent « mais nous il n’y a pas de vendanges, si c’est pas mon identité, je ne me reconnais pas dans cette langue ». Retour au texte

25 https://www.guadeloupe.ars.sante.fr/projet-regional-de-sante-ii-2018-2023 Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Marie Cholley-Gomez, Sébastien Ruffié, Gaël Villoing et Sylvain Ferez, « Participation sociale et affirmation(s) identitaire(s) des Sourds en Guadeloupe : les effets d’une double insularité », Cahiers franco-latino-américains d'études sur le handicap [En ligne], 2 | 2024, mis en ligne le , consulté le 22 décembre 2024. URL : https://cfla-discapacidad.pergola-publications.fr/index.php?id=351
DOI : https://dx.doi.org/10.56078/cfla_discapacidad.351

Auteurs

Marie Cholley-Gomez

Laboratoire EPSYLON, Université Paul Valéry ; Montpellier ; Laboratoire ACTES, Université des Antilles, Pointe-à Pitre ; marie.cholley-gomez@univ-montp3.fr
Ph.D., Ingénieur de recherche, Chercheur post-doctorante contribuant actuellement au déploiement d’un réseau pluridisciplinaire en recherche interventionnelle (SO-RISP). Ses travaux portent notamment sur des problématiques de santé publique et s’inscrivant dans la prévention primaire des cancers (maladie chronique, handicap, activité physique, alimentation) avec une attention pour les populations vulnérables et la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé.

Sébastien Ruffié

Laboratoire ACTES, Université des Antilles, Pointe-à-Pitre ;sebastien.ruffie@univ-antilles.fr
Professeur des Universités, directeur-adjoint de l’équipe ACTES 359, à l’Université des Antilles, Pointe-à-Pitre. Enseignant-chercheur spécialisé dans les sciences sociales. Il s’intéresse aux publics minoritaires vivant des situations de handicap et à leur participation sociale, en particulier dans le domaine des Activités Physiques et Sportives. Il a notamment dirigé un programme de recherche interdisciplinaire sur la participation sociale de jeunes drépanocytaires avec ou sans troubles neurocognitifs en Guadeloupe.

Gaël Villoing

Laboratoire ACTES, Université des Antilles, Pointe-à-Pitre ; gael.villoing@univ-antilles.fr
Maitre de Conférences, Enseignant-chercheur responsable de l’axe « Activités Physiques, Promotion de la Santé, participation sociale, mobilisations collectives » de l’Equipe d’Accueil ACTES 3596, et spécialisé dans les sciences sociales. Il s’intéresse aux mobilisations collectives organisées par ou pour les publics minoritaires vivant des situations de handicap dans le but de promouvoir leur participation sociale, en particulier à travers les Activités Physiques et Sportives.

Sylvain Ferez

Laboratoire SANTESIH (Santé, Education et Situations de Handicap), Université de Montpellier ; sylvain.ferez@umontpellier.fr
Maitre de Conférences – Habilité à Diriger des Recherches & en délégation CNRS au Centre Max Weber (UMR 5283). Il développe des travaux dans le domaine de la sociologie du sport, du handicap et de l’éducation physique. Ses recherches portent notamment sur les enjeux sociohistoriques liés à l’accès aux pratiques sportives de loisir et/ou de compétition des personnes handicapées et sur l’impact de la maladie chronique (infection au VIH, mucoviscidose, obésité) sur la participation sociale et l’engagement dans les activités physiques et sportives.

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