Introduction
À l’intersection des sciences de l’occupation1 et des études critiques de l’autisme — et plus largement du handicap, mes activités de recherche s’enracinent dans le croisement de mes savoirs professionnels et scientifiques avec mes savoirs expérientiels et pratiques. Autiste, aphantaisique, prosopagnosique2, j’ai été et suis encore confronté⸱e à l’altérisation (« othering ») ; à l’invalidation de ma perspective, de mes expériences et de mes identités ; à la diversité de façade3 (parfois dite tokénisme ou « tokenism ») ; et à l’exclusion — tant dans ma vie personnelle que dans ma vie universitaire et professionnelle.
Bien que je reconnaisse aujourd’hui que mon positionnement et que mes activités de recherche sont influencées par mes identités, mes expériences personnelles et mon militantisme (et inversement), ce ne fut pas toujours le cas. Ni mes études supérieures ni les implications que j’avais au début de ma carrière académique n’avaient de lien avec l’autisme. À l’époque, j’aspirais à maintenir une claire et franche séparation entre ma réalité personnelle et ma réalité professionnelle. Deux ans après avoir obtenu mon poste actuel de professeur·e — et au détour d’une implication bénévole au sein d’une initiative citoyenne visant à offrir du soutien social par clavardage à des a/Autistes4, j’ai commencé à questionner cette frontière que je m’efforçais de maintenir (pour en savoir plus, consulter Désormeaux-Moreau et Courcy, 2024). Cette initiative fut un réel catalyseur et elle m’amena à complètement réorienter mes activités académiques autour de mes identités en tant qu’Autiste5 et ergothérapeute ayant une expérience personnelle du handicap. Mes activités académiques et ma programmation de recherche se centrent maintenant sur le vécu ainsi que les expériences d’adultes a/Autistes et d’ergothérapeutes appartenant à des groupes sociaux minorisés et sous-représentés dans la profession. Je m’intéresse également au soutien par les pairs ainsi qu’aux approches et aux initiatives développées et portées par et pour les personnes concernées (p. ex. par et pour des a/Autistes ou encore par et pour des ergothérapeutes ayant une expérience personnelle du handicap). Ma recherche est engagée, militante.
La réflexion proposée dans cet article prend appui sur les lectures que j’ai faites et les innombrables conversations que j’ai eues au cours des cinq dernières années. Elle s’appuie également sur des observations participantes faites dans des congrès scientifiques, des forums participatifs et des espaces de co-réflexion entre pair⸱es6. Elle fut également alimentée par les échanges auxquelles j’ai participé ou dont j’ai été témoin dans des communautés virtuelles d’a/Autistes ainsi que dans un groupe virtuel privé comptant 7 500 chercheur⸱es a/Autistes dont les travaux ont trait à l’autisme. Dans cette réflexion, je m’attarde d’abord aux tensions entre les savoirs sur l’autisme et les savoirs autistes. J’aborde ensuite les sources et les conséquences des injustices épistémiques auxquelles font face les a/Autistes ainsi que le phénomène de la Neurodiversity Lite (c’est-à-dire l’instrumentalisation des concepts liés à la neurodiversité). Enfin, je termine en explorant comment l’humilité épistémique et la posture d’auto-disempowerment peuvent aider à rompre avec les pratiques sources d’injustices épistémiques et la Neurodiversity Lite.
Quels savoirs pour comprendre l’autisme et l’expérience des a/Autistes ?
Deux principaux types de savoirs s’affrontent lorsqu’il s’agit d’autisme et de réalités autistes : les savoirs sur l’autisme (dits « autism knowledge ») et les savoirs autistes (dits « autistic knowledge »). Actuellement, la vaste majorité des connaissances professionnelles et scientifiques disponibles concernant l’autisme ainsi que le vécu, l’expérience et les besoins des a/Autistes relèvent de savoirs dits sur l’autisme. Ces savoirs sont produits par des allistes7, c’est-à-dire par des personnes qui ne sont pas a/Autistes. Ils sont formulés et articulés par et dans des groupes de personnes chercheuses, cliniciennes ou praticiennes de santé, voire parfois à l’intérieur de groupes de parents allistes d’enfants a/Autistes (Bertilsdotter Rosqvist et al., 2023). Ils sont la plupart du temps issus de recherches menées sur les a/Autistes, par allistes, ou à tout le moins des personnes qui ne sont pas ouvertement a/Autistes (Dwyer et al., 2021), et non par ou avec des a/Autistes (Chown et al., 2017 ; Grant et Kara, 2021).
En tant que professeur·e dans un programme d’ergothérapie qui relève d’une faculté de médecine et de sciences de la santé, je navigue entre des domaines (c’est-à-dire la santé, la réadaptation, la relation d’aide, l’enseignement et la pédagogie) où les savoirs sur l’autisme règnent de façon quasi monolithique. Ma propre compréhension de l’autisme, de qui sont les a/Autistes ainsi que de leurs réalités et leurs possibles besoins de soutien repose sur les savoirs sur l’autisme acquis dans le cadre de ma formation, mais aussi, et surtout sur mon propre vécu, sur de multiples discussions avec d’autres a/Autistes ainsi que sur la consultation de multiples ressources produites ou co-produites par des a/Autistes8. Par conséquent, ma compréhension repose largement sur des savoirs autistes, c’est-à-dire des savoirs produits par des a/Autistes, et ce, tel que formulés et articulés par et dans des groupes d’individus a/Autistes (Bertilsdotter Rosqvist et al., 2023).
De l’autorité épistémique des savoirs sur l’autisme aux injustices épistémiques qui marquent les savoirs autistes
Les savoirs sur l’autisme et les savoirs autistes ont historiquement évolué en parallèle, se rencontrant rarement et se retrouvant souvent en compétition pour les droits d’interprétation (Bertilsdotter Rosqvist et al., 2023). Du fait de l’historique de médicalisation et de psychiatrisation de l’autisme, ce sont les savoirs sur l’autisme qui sont non seulement jugés les plus fiables et les plus crédibles, mais qui sont aussi les plus largement diffusés (Murray, 2018). Le constat que je fais quant aux savoirs sur l’autisme rejoint ainsi celui de Vite Hernandez (2022) relativement à l’état des connaissances sur le handicap : l’essentiel des connaissances actuellement disponibles émane pour beaucoup de tentatives de décrire les a/Autistes, sans dialogue intersubjectif. Fruits de tentatives d’explication de certains comportements autistes observés par des personnes provenant et œuvrant dans des milieux médicaux, ces savoirs se caractérisent par une rhétorique pathologisante et déficitaire (Chapman, 2019 ; Evans, 2013). Celle-ci domine dans les discours scientifiques, gouvernementaux et médiatiques (Lefebvre et al., 2023).
Si la recherche participative représente une avenue prometteuse pour intégrer les savoirs autistes dans la production de connaissances sur l’autisme (den Houting, 2021 ; Fletcher-Watson et al., 2019 ; Pickard et al., 2022), le privilège historique accordé aux savoirs sur l’autisme a eu pour effet de discréditer, de réduire au silence et d’invisibiliser les savoirs autistes, contribuant du coup à ce que les philosophes qualifient d’injustice épistémique (Fricker, 2007). Dans le cas des a/Autistes, les injustices épistémiques surviennent le plus souvent lorsque les savoirs autistes sont confrontés aux savoirs ainsi qu’aux perspectives sur l’autisme. Ces injustices se trouvent décuplées par la superposition des rapports de pouvoir. Ainsi, l’invisibilisation et le discrédit de la perspective et de l’expérience des a/Autistes femmes et non-binaires sont ainsi d’autant plus marqués (Coville et Lallet, 2023), comme le sont également celles de personnes et de groupes a/Autistes confrontés au classisme, à l’hétéronormativité, au racisme, etc.
Les injustices herméneutiques ou l’interprétation erronée des individus et des perspectives autistes
Le fait que les connaissances dominantes en ce qui concerne l’autisme ainsi que le vécu, l’expérience et les besoins des a/Autistes relèvent de savoirs produits par des allistes contribuent à une interprétation ainsi qu’à une représentation erronée des individus et des perspectives autistes. Cette réalité contribue elle-même à ce que les philosophes appellent une « injustice herméneutique » (Fricker, 2007), laquelle met en évidence le caractère hautement problématique de l’interprétation dominante des expériences ou des vécus de personnes et des groupes sociaux marginalisés.
Les savoirs sur l’autisme prennent leur source dans ce qu’on appelle la neuronormativité, c’est-à-dire dans un ensemble de normes, de valeurs, d’attentes et de pratiques qui privilégient les modes de pensée et les fonctionnements cognitifs jugés « normaux », « standards » ou « typiques » (Catala, 2023). La neuronormativité circonscrit ce qui est interprété comme « adéquat » et « acceptable » et ce qui est interprété comme « déviant » ou « inférieur » en termes de façons de percevoir et de gérer l’information sensorielle, de modes de fonctionnement cognitif (y compris les composantes exécutives et attentionnelles), de contact visuel, aux expressions faciales, de façons de bouger ou d’exprimer ses idées, de ton et timbre de voix, de même que de rythme conversationnel (Catala, 2023). Dans un monde neuronormatif, ce sont les personnes désignées comme « normales » ou « typiques » qui déterminent ce que le « normal » et « l’acceptable » veut dire (Benson, 2023 ; Catala et al., 2021).
En raison de façons d’être et de faire qui s’écartent de la norme et apparaissent ainsi non conventionnelles ou inhabituelles, les personnes a/Autistes furent (et sont encore) pathologisées, examinées, décortiquées et analysées par les groupes dominants « étrangers » aux réalités ainsi qu’aux vécus autistes (Benson, 2023). Or, l’interprétation des expériences ou des vécus autistes à travers le prisme de la neuronormativité mène généralement à une mauvaise interprétation et à une représentation erronée des personnes et des communautés a/Autistes ainsi que de leurs perspectives. Tous deux fréquemment observés chez les a/Autistes, le « stimming » et le déversement d’information (dit « infodumping ») en sont de bons exemples9.
Un nombre croissant de discussions explorent en quoi et comment les façons d’être, d’agir et de communiquer des a/Autistes tendent à être mal interprétées par les allistes, contribuant de ce fait à une perception défavorable des a/Autistes (pour une revue critique, consulter Mitchell et al., 2021). Or, il convient de souligner que la façon de percevoir et de qualifier des attributs et des comportements, incluant ceux des a/Autistes, varie grandement selon les perspectives et les contextes (Grant et Kara, 2021). À cet égard, une tension importante est observée entre le portrait dominant de l’autisme — biomédical, pathologisant et déficitaire, et le portrait que s’en font les a/Autistes (Botha et al., 2022). S’écartant généralement du modèle pathologique (Bagatell, 2007 ; Kapp, 2020) (Bagatell, 2007 ; Kapp, 2020) pour s’appuyer sur des modèles d’acceptation de l’autisme (Kapp et al., 2013), la perception qu’ont les personnes a/Autistes d’elles-mêmes s’avèrent souvent incompatibles avec les interprétations dominantes stigmatisantes, en particulier celles issues des perspectives médicales.
Hautement problématique, l’interprétation pathologisante et déficitaire des expériences ou des façons d’être et de faire de personnes et des groupes a/Autistes s’accompagne de préjudices bien concrets. Par exemple, tandis que la quasi-totalité des services de soutien formels accessibles aux a/Autistes s’appuient sur l’interprétation de leurs réalités et de leurs besoins par des prestataires de soins et services de santé allistes, plusieurs adultes a/Autistes déplorent le manque ou l’inadéquation entre leurs besoins et les services disponibles (Huang et al., 2022 ; Vogan et al., 2017). Ceci s’explique probablement en grande partie par le fait que la vaste majorité des interventions qui leur sont proposées ciblent des « déficits » et visent à modifier des comportements jugés « inadéquats », alors que ce sont plutôt les situations d’isolement ou de désaffiliation sociale qui se répercutent le plus négativement sur la santé mentale des a/Autistes (Milton et Sims, 2016).
C’est également sur la base des représentations sociales stéréotypées et déficitaires véhiculées par les savoirs sur l’autisme (ou devrais-je plutôt dire sur le soi-disant « trouble du spectre de l’autisme ») que les interventions de type ABA (« applied behavioral analysis ») ou ICI (intervention comportementale intensive) se sont développées — et continuent malheureusement d’être utilisées. Très controversées et largement critiquées à l’intérieur des communautés a/Autistes, par les groupes de défenses des droits des a/Autistes, ainsi que par un nombre croissant de personnes chercheuses et professionnelles a/Autistes — mais aussi allistes, ces approches sont fondamentalement basées sur la conformité à la norme dominante (c’est-à-dire à la neuronormativité) et représentent une forme de violence faite aux a/Autistes (pour des exemples de ces critiques, voir Giroux et al., 2021 ; Lynch, 2019 ; Ouimet, 2023 ; Ram, 2020).
Les injustices testimoniales ou la décrédibilisation et l’invalidation des individus et des perspectives autistes en recherche
La représentation négative et déficitaire des a/Autistes conduit à la décrédibilisation et à l’invalidation de leurs perspectives — incluant sur des questions qui les concernent, et ce, en raison des préconceptions de leurs interlocuteurs allistes. Ce phénomène est connu sous le nom « d’injustice testimoniale » (Fricker, 2007) et réfère au fait de ne pas créditer à sa juste valeur le témoignage ou la contribution d’une personne en raison de préjugés explicites ou implicites. Il m’apparait évident que les représentations sociales stéréotypées de ce qu’est l’autisme sont à l’origine de la dichotomie artificielle (à la fois historique et actuelle) qui sépare les personnes productrices de connaissances ou prestataires de services (allistes ou présumées l’être) des personnes objet de connaissance et bénéficiaires de services (a/Autistes). Réifiant les pratiques neuronormatives ou celles basées sur une logique de « pitié-charité », cette dichotomie explique par ailleurs pourquoi les connaissances et les initiatives développées par des a/Autistes et pour des a/Autistes se heurtent aux jugements, aux questionnements — insidieux ou explicites — voire à la pression de l’autorité alliste et médicale.
Cela étant dit, un nombre croissant de personnes chercheuses ouvertement a/Autistes, principalement situées dans les pays anglo-saxons, s’intéressent à la perspective et aux conditions de vie des personnes et des communautés a/Autistes (Nuwer, 2020). Indépendamment de leurs objets de recherche ou leurs affinités paradigmatique et méthodologique, les personnes chercheuses a/Autistes ont un rôle inestimable à jouer pour permettre aux personnes et aux communautés a/Autistes de se réapproprier et d’actualiser leurs propres histoires, de même que pour se décentrer du monopole épistémique que les allistes ont historiquement détenu sur leurs expériences (Acevedo, dans Dwyer et al., 2021). S’enracinant nécessairement dans leurs identités et expériences en tant qu’a/Autistes, les savoirs que ces personnes contribuent à produire se posent souvent en rupture par rapport aux travaux qui portent un regard externe et/ou capacitiste sur l’autisme (Coville et Lallet, 2023). Tel que ma collègue Amandine Catala et moi l’abordons dans un chapitre de livre à paraître dans un ouvrage collectif édité par Damian Milton (Désormeaux-Moreau et Catala, accepté pour publication), plusieurs estiment que la divergence entre leurs perspectives et celles de leurs collègues allistes est non seulement attribuable à leur identité Autiste ainsi qu’à l’intersection de leur expertise professionnelle et leurs savoirs expérientiels, mais également à leur position critique à l’égard des discours et des approches neuronormatives. Les travaux de plusieurs personnes chercheuses ouvertement a/Autistes s’ancrent d’ailleurs dans le courant neuroqueer10 ou encore dans les études critiques de l’autisme11 (voir, par exemple, Codina, 2023 ; Walker et Raymaker, 2021).
Ces perspectives sont essentielles pour faire contrepoids aux connaissances produites à partir de perspectives externes (comme le sont les perspectives allistes) et universalisantes (Vite Hernandez, 2022). Pourtant, plusieurs des personnes chercheuses a/Autistes avec qui je suis en lien expriment des préoccupations et des vécus difficiles par rapport au manque de crédibilité et la remise en question de leur capacité à produire ainsi qu’à transmettre des connaissances. De telles injustices épistémiques marginalisent les perspectives autistes et décrédibilisent les a/Autistes dans la production de connaissances, leur positionnement les plaçant sous le soupçon de violer la neutralité épistémique centrale à la conception positiviste de la science (Botha, 2021). L’accent mis sur l’objectivité et la distance prétendument requise dans la recherche conduit ainsi à la reproduction des injustices. D’un côté, les personnes chercheuses allistes dont les travaux portent sur l’autisme se voient conférer une légitimité quasi systématique, leur objectivité présumée leur conférant une crédibilité presque systématique et omniprésente (Botha, 2021). D’un autre côté, les personnes chercheuses a/Autistes dont les travaux portent sur l’autisme doivent constamment justifier et défendre leur implication dans la création de savoirs (Botha, 2021). Trop souvent, les conclusions de leurs travaux sont invalidées, et ce, lorsque ces personnes ne sont pas carrément exclues des initiatives de développement des connaissances et de production des savoirs.
La récente démarche de réflexion et de consultation pour l’élaboration de futures politiques publiques en matière d’autisme au Canada (Académie canadienne des sciences de la santé, s. d.) en est un exemple frappant. Visant à croiser les résultats issus de la recherche en autisme avec des savoirs expérientiels, cette initiative a été menée sous un leadership scientifique entièrement alliste. En effet, des 34 personnes impliquées dans le comité de direction ainsi que dans les groupes de travail mobilisés autour de l’initiative, 20 détenaient (selon leur biographie — Académie canadienne des sciences de la santé, nd) un PhD et occupaient dans le cadre de leurs fonctions de travail un rôle en recherche. De celles-ci, aucune n’était a/Autiste (ou à tout le moins ouvertement a/Autiste), mais une était décrite comme la mère (alliste) d’un adulte autiste. Seules cinq des personnes impliquées étaient explicitement identifiées comme a/Autistes. Les autres membres étant des personnes professionnelles allistes (ou présumées l’être) ou parents allistes (ou présumés l’être) d’enfants a/Autistes, sans PhD et fonction de recherche. Au final, et bien que des personnes a/Autistes aient été impliquées dans cette démarche de réflexion et de consultation, l’absence de personnes chercheuses a/Autistes dans ses instances décisionnelles comme le comité de direction ou les comités de travail, s’avère problématique. En effet, l’implication de personnes autistes dans cette recherche, bien que positive, ne suffit pas à garantir une réelle co-construction des savoirs, du fait des dynamiques de pouvoirs en jeu (p. ex. allistes versus a/Autistes ; savoirs scientifiques versus savoirs expérientiels). Ainsi, ne pas avoir impliqué d’a/Autistes détenant une formation et une fonction en recherche a/Autistes a pu limiter la possibilité pour les perspectives autistes d’influencer de manière significative la conception, la réalisation et l’interprétation de la recherche. Comme l’avancent Milton et Bracher (2013), la mise à l’écart des chercheur·es a/Autistes et de leurs perspectives dans la recherche en sciences sociales sur la réalité et le vécu d’autres a/Autistes est épistémologiquement et éthiquement problématique.
Les injustices contributives ou le refus des allistes de reconnaître et d’utiliser les savoirs autistes
Pour la plupart développés sur la base de préjugés neuronormatifs, les savoir sur l’autisme accordent peu, voire pas du tout de crédit à l’expérience et aux savoirs autistes. Ce phénomène relève de ce que Dotson (2012) appelle une « injustice contributive ». Celui-ci survient lorsque des groupes non dominants développent des savoirs pour rendre compte de leurs expériences, mais que les groupes dominants refusent de les reconnaître et de les utiliser, et ce, malgré qu’ils y aient accès.
Au fil du temps, les a/Autistes ont créé une multitude des ressources herméneutiques, alternatives aux savoirs dominants sur l’autisme, pour expliquer et donner sens à leur réalité. Élaborés à partir de l’expérience vécue, les savoirs autistes constituent de précieux savoirs expérientiels, lesquels ne doivent pas être confondus avec l’expérience vécue, le récit ou le témoignage, en cela qu’ils reposent en fait sur une compréhension construite des situations (Gardien, 2019). Les savoirs autistes s’enracinent non seulement dans la collectivisation des savoirs expérientiels (c.-à-d. une compréhension critique et politique de cette expérience [Leblanc-Omstead et Mahipaul, 2022]), mais également dans des savoirs pratiques (c.-à-d. des connaissances construites dans l’action quotidienne pour réfléchir et solutionner les problèmes rencontrés [Léziart, 2010]) des a/Autistes12.
L’avènement du Web se sera révélé un outil inestimable pour favoriser le développement et la diffusion des savoirs autistes au sein des groupes et des communautés a/Autistes. Or, bien que les idées et les façons de concevoir ou d’étudier l’autisme qui s’écartent de la pensée et du discours dominants soient accueillies avec enthousiasme, tant dans les communautés a/Autistes que dans les sciences sociales — pensons notamment au double problème de l’empathie (Milton, 2012) et à l’application du modèle du stress minoritaire à la population a/Autiste (Botha et Frost, 2020) — ces ressources peinent à se tailler une place au côté des savoirs dominants sur l’autisme. De fait, elles sont le plus souvent écartées ou discréditées par les groupes dominants — dont font partie les personnes professionnelles de la santé ou chercheuses allistes. Cette injustice contributive résulte de ce que Pohlhaus (2012) a appelé l’« ignorance herméneutique volontaire », laquelle survient lorsque les personnes en position dominante refusent de reconnaître les savoirs alternatifs (c’est-à-dire les savoirs autistes) qui leur permettraient de comprendre des réalités différentes de la leur. Dans le milieu scientifique, les injustices contributives se manifestent notamment par le fait que de nombreuses discussions sur la neurodiversité, entre autres, aient été et continuent d’être publiées dans des blogues, des magazines virtuels ou des chapitres de livres, plutôt que dans des revues révisées par les pairs (Chapman et Botha, 2023) qui demeurent, en dépit de nombreuses critiques (Ertzscheid, 2018), présentées comme la quintessence de la diffusion scientifique.
La description populaire et persistante de l’autisme comme un trouble de la communication sociale est intrinsèquement liée aux injustices contributives auxquelles se heurtent les personnes chercheuses a/Autistes ainsi qu’à l’ignorance herméneutique volontaire des personnes chercheuses et professionnelles allistes. Une telle description repose non seulement sur le rejet des savoirs autistes qui remettent en cause la représentation pathologisante et individualisante de l’autisme, mais également sur l’ignorance évidente du concept de double problème de l’empathie13 par les groupes dominants. Proposé par Milton (2012) il y a plus de dix ans pour expliquer les enjeux de communication entre personnes a/Autistes et personnes allistes, ce concept est largement accepté au sein des communautés a/Autistes. Soutenu par de nombreuses études empiriques (pour une revue, consulter Milton et al., 2023), il est par ailleurs facilement accessible et largement diffusé. Pour preuve, une recherche sur Google réalisé le 9 août 2024 fournissait environ 2 870 000 de résultats (en 0,36 seconde) avec les mots clés « double problème de l’empathie » et environ 36 000 000 (en 0,23 seconde) avec les mots clés « double empathy problem ». Le refus des groupes dominants de reconnaître et d’utiliser ce concept constitue une injustice contributive qui maintient l’idée fausse selon laquelle les problèmes de communication entre les personnes allistes et a/Autistes sont causés par le fonctionnement neurocognitif de ces dernières (Milton et al., 2023) et de leurs présumés « déficits et de difficultés » en matière de communication. Cette injustice contribue à invisibiliser le fait que les interactions entre les personnes allistes et a/Autistes se déroulent dans des contextes marqués par des rapports de pouvoir inégaux (Milton et al., 2022) qui sont pourtant au cœur du vécu et du discours des a/Autistes. Elle engendre par ailleurs une cascade de préjudices, dont trois sont explicités dans les paragraphes qui suivent.
Premièrement, le refus de reconnaître le phénomène du double problème de l’empathie contribue à perpétuer la stigmatisation et l’oppression des personnes et des communautés a/Autistes. Reposant sur des pratiques neuronormatives qui découragent, excluent ou marginalisent les a/Autistes, ces idées reçues affectent bien souvent leur potentiel et leur contribution à la production de connaissances. Elles sont par exemple susceptibles de les dépeindre comme des personnes avec qui il est difficile d’interagir, de collaborer ou de travailler, ce qui est susceptible de limiter les opportunités auxquelles les a/Autistes ont accès.
Deuxièmement, et sur la base de leurs « déficits et difficultés » présumés en matière de communication, diverses pratiques et techniques d’intervention sont imposées aux a/Autistes, particulièrement aux enfants. Il s’agit de pratiques psychosociales ou en réadaptation qui visent à développer leurs habiletés sociales, de même qu’à « normaliser » leurs comportements sociaux (Désormeaux-Moreau et al., 2024). Problématiques, ces pratiques ne responsabilisent pas suffisamment les personnes allistes quant à la responsabilité qui leur incombe en matière de communication neuromixte – c’est-à-dire entre personnes présentant une diversité d’identités et de profils dits neurocognitifs, comme c’est le cas dans la communication entre personnes allistes et a/Autistes, renforçant de ce fait les inégalités en matière de communication. Elles véhiculent ainsi une idéologie selon laquelle des dommages macrosystémiques sociopolitiques (ici l’oppression des a/Autistes) peuvent être résolus au niveau individuel, par l’apprentissage et l’imitation de façons d’être et de faire considérées « normales » (Garland-Thomson, 2002).
Troisièmement, et enfin, le refus des groupes dominants de reconnaître et d’utiliser le concept du double problème de l’empathie a pour conséquence d’inciter les a/Autistes à recourir au camouflage social (aussi appelé masquage ou « masking »). Discuté dans les groupes et les communautés a/Autistes (Milton et Sims, 2016), le concept de camouflage social est lui-même une ressource herméneutique alternative mobilisée par les a/Autistes pour rendre compte des stratégies utilisées pour éviter la marginalisation, la stigmatisation et l’exclusion. Or, il renvoie à un phénomène qui est lui-même volontairement ignoré dans les savoirs et les interprétations biomédicales dominantes sur l’autisme, avec pour conséquence la négation de l’identité Autiste et le refus d’octroyer les services de soutien demandés, en raison d’un profil qui ne correspondrait pas aux stéréotypes sur l’autisme. En effet, le camouflage social repose sur l’utilisation de diverses stratégies pour dissimuler ou modifier, de manière intellectualisée ou pas, ses réponses et ses réactions intuitives et spontanées pour se conformer aux attentes neuronormatives (Miller et al., 2021 ; Pearson et Rose, 2021). Le camouflage social a de nombreux effets néfastes, tels que la fatigue et l’épuisement, le stress et l’anxiété, la confusion et la perte d’identité ainsi que l’isolement ou l’auto-exclusion, en plus d’être corrélé avec un bien-être réduit, un taux de dépression plus élevé, ainsi qu’avec la suicidalité (Chapman et Botha, 2023).
La Neurodiversity Lite, ou l’instrumentalisation des concepts liés à la neurodiversité
La Neurodiversité Lite (Neumeier, 2018) fait référence à l’utilisation de la rhétorique des mouvements de la neurodiversité sans véritable compréhension des prémisses qui les sous-tendent. Concrètement, elle se manifeste par le fait d’affiche publiquement un soutien pour la neuroinclusion, sans réellement comprendre les prémisses qui sous-tendent le paradigme de la neurodiversité14 et aucun désir de modifier et de transformer les habitudes et les pratiques existantes. Un aspect central de l’approche de la Neurodiversité Lite est l’empathie feinte envers les a/Autistes (et autres individus neurominorisés15), sans savoir et respect véritable pour la neurodiversité, ni aucune compréhension ou compassion envers la neurominorisation (Désormeaux-Moreau et Catala, accepté pour publication).
L’usage du terme neurodiversité est un exemple patent, à l’intersection de l’injustice épistémique et de la Neurodiversity Lite. L’utilisation de plus en plus fréquente du terme « neurodiversité » par les groupes dominants ne prend généralement pas en compte la complexité et la richesse des perspectives des personnes et des mouvements a/Autistes à l’origine du concept (pour des exemples de travaux reposant sur une compréhension qui dénature le concept de neurodiversité, voir Go Jefferies et Ahmed, 2022 ; Hochmann, 2020 ; Westgarth, 2024) et occulte la plupart du temps les nuances apportées par les personnes partisanes des mouvements de la neurodiversité (Chapman et Botha, 2023). Ce faisant, le concept se voit dépolitisé, au point de devenir pratiquement inutile et totalement inefficace pour contribuer à un véritable changement, et complètement détaché de la communauté qui en est à l’origine (Désormeaux-Moreau et Catala, accepté pour publication). À titre d’exemple, Singer (1998, 1999), dont les travaux représentent pourtant la première étude sociale connue du mouvement de la neurodiversité, est rarement citée. Le mouvement collectif derrière la conceptualisation de la neurodiversité est encore plus rarement reconnu et les personnes ainsi que les groupes qui ont contribué à son émergence, quasi jamais crédités (Botha et al., 2024). Pire, le terme neurodiversité est souvent utilisé sans même faire référence au fait qu’il s’agit d’une idée développée pour remettre en question la représentation pathologisante de l’autisme et d’autres profils neurocognitifs16. Dans mes activités académiques, notamment dans le cadre de comités de travail ou dans un rôle d’évaluation de demandes de subvention ou encore de mémoire ou d’examens doctoraux, il m’arrive d’observer que des personnes et des équipes font référence à la neurodiversité, voire affirment que le paradigme de la neurodiversité guide leurs travaux ou leur approche, tout en maintenant un discours stigmatisant et pathologisant, en appuyant leurs activités sur une interprétation déficitaire ou à tout le moins normative des comportements et des façons d’être et de faire des a/Autistes — et d’autres personnes neurominorisées, ou en mettant de l’avant des interventions centrées sur le développement d’habiletés individuelles et la normalisation (pour des exemples, ainsi qu’une réflexion approfondie, voir Désormeaux-Moreau et Catala, accepté).
Ces pratiques, et toutes celles qui leur sont apparentées sont problématiques et préjudiciables. Premièrement, les discours qui décrivent des profils neurocognitifs avec un langage pathologisant et déficitaire — comme c’est le cas lorsqu’on parle du soi-disant « trouble du spectre de l’autisme » (ou encore du soi-disant « trouble du déficit de l’attention » ou du « trouble d’acquisition de la coordination ») — sont incompatibles avec les mouvements de neurodiversité. En effet, ces mouvements visent fondamentalement à résister et à démanteler la hiérarchisation socialement construite des profils neurocognitifs (Catala, 2023) et, par conséquent, leur pathologisation. En ce sens, les personnes engagées en faveur de la neurodiversité devraient promouvoir et mettre de l’avant un vocabulaire ainsi que des perspectives qui rompent avec le modèle médical (Lefebvre et al., 2023). Deuxièmement, la tendance très répandue à utiliser les termes « neurodiversité » et « neurodivergence » de façon interchangeable (p. ex. en parlant d’une personne neurodiverse ou encore d’une personne concernée par la neurodiversité) traduit également une compréhension erronée de ce qu’est la neurodiversité, à savoir un fait naturel qui correspond à l’étendue de la variation neurocognitive qui caractérise l’espèce humaine/l’humanité (Singer, 1999). De tels usages sont grammaticalement et conceptuellement erronés17, sans compter qu’ils contribuent à nier l’inconfort neuronormatif à l’égard de l’autisme et de la neurominorisation, renforçant ainsi le stigma qui y est associé (Catala, 2023). Troisièmement, et enfin, les pratiques qui visent le développement des habiletés individuelles des a/Autistes, dans une visée de normalisation (p. ex. les groupes de développement d’habiletés sociales, les protocoles de désensibilisation sensorielle, les approches comportementales visant la suppression des mouvements d’autostimulation) représentent le paroxysme de l’instrumentalisation du paradigme et des mouvements de la neurodiversité. Reposant sur une logique de normalisation, ces pratiques nient ou limitent les façons d’être, de penser, de parler, de faire et de vivre qui s’écartent de la neuronormativité. Or, la résistance à la normalisation est centrale au militantisme de la neurodiversité. Sur ce point, et contrairement à une critique courante du discours dominant, les perspectives fondées sur la neurodiversité ne remettent pas en question toute forme d’intervention ni tous les aspects de l’approche médicale. En réalité, elles rejettent spécifiquement et uniquement ceux qui cherchent à « normaliser » la personne pour la rendre indistinguable de ses paires neuronormalisées (Kapp, 2020), et ce, par l’élimination des façons d’être ou de faire qui déplaisent aux groupes dominants, mais qui bénéficient pourtant aux a/Autistes18 (ou aux autres personnes neurominorisées) (Bertilsdotter Rosqvist et al., 2023). En plus d’être directement préjudiciables pour les a/Autistes, les pratiques qui visent le développement des habiletés individuelles échouent à réellement valoriser la neurodiversité, en ce sens qu’elles passent à côté de l’opportunité de resituer la source des difficultés rencontrées dans l’environnement, plutôt que dans la personne. De fait, une compréhension réellement fondée sur la neurodiversité explique l’expérience du handicap telle la détresse des a/Autistes (et autres personnes neurominorisées) en matière de barrières sociales et environnementales, plutôt qu’en matière de problématiques médicales (Chapman et Botha, 2023).
L’humilité épistémique et l’auto-disempowerment, ou comment rompre avec les pratiques sources d’injustices épistémiques et la Neurodiversity Lite
Notre position sociale conditionne notre accès au savoir et nous impose des limitations épistémiques. Par conséquent, il est crucial d’adopter une posture d’humilité épistémique, ce qui implique de reconnaître notre ignorance ou nos incompréhensions, dues à notre expérience située et donc, limitée. Sur ce point, et comme l’articule la théorie du point de vue et d’autres travaux liés aux points de vue épistémologiques, toutes les connaissances sont situées, c’est-à-dire inscrites dans un contexte historique, culturel et matériel particulier (Flores Espínola, 2012 ; Harding, 2004). Ainsi, il convient de rappeler que la médicalisation et la psychiatrisation de l’autisme et des a/Autistes sont le reflet de la soi-disant « normalité », telle qu’elle est actuellement définie. Les capacités et les traits qui sont valorisés varient selon les époques, les cultures ou les lieux, ce qui fait que les expériences humaines qui sont pathologisées et décrites comme des « troubles » changent, au gré des évolutions sociales. On peut, à titre d’exemple, se rappeler le sort de « l’homosexualité », qui fut retiré du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 1973, en réaction aux revendications ainsi qu’aux actions de groupes militants (Descher, 2015).
Au final, le problème n’est pas que des allistes fassent de la recherche et contribuent au développement de connaissances relativement aux expériences, aux vécus et aux besoins des a/Autistes. Au contraire, il est possible pour les personnes allistes d’utiliser la recherche et leur statut de chercheur·e pour documenter les savoirs autistes et amplifier les perspectives des a/Autistes (voir par exemple Academic Autism Spectrum Partnership in Research and Education, s. d. ; Courcy, 2021). Le problème réside plutôt dans l’universalisation des interprétations allistes ainsi que dans la négation, voire le discrédit de la perspective des personnes et des collectifs a/Autistes. À cet égard, lorsque les groupes dominants échouent à reconnaître leurs limitations épistémiques et résistent aux contributions des a/Autistes — comme expliqué et illustré dans les paragraphes précédents — ils font preuve d’une ignorance active et affichent une arrogance épistémique. Ainsi, prendre conscience que leur compréhension et leur interprétation ne sont que partielles (et partiales !) est essentiel pour permettre à ces groupes d’assumer la responsabilité qui leur incombe d’aller à la rencontre d’autres personnes pour élargir leurs perspectives (Vite Hernandez, 2022) et, conséquemment, tendre vers une compréhension plus juste et nuancée que seule la co-construction des savoirs rend possible. Les personnes qui appartiennent aux groupes dominants doivent également reconnaître les privilèges que leur confère leur statut neuronormalisé et revisiter leurs rôles ainsi que leur implication, que ce soit en tant personne chercheuse, clinicienne ou enseignante, ou en tant que parent, par exemple. Elles doivent s’efforcer de réduire leur pouvoir ainsi que leurs liens de complicité et de connivence avec la majorité neuronormalisée (Désormeaux-Moreau et Courcy, 2024). À cet égard, pour déconstruire et démanteler les privilèges, il leur faut d’abord reconnaître qu’elles les incarnent et comprendre comment ceux-ci se matérialisent aux quotidiens (Vite Hernandez, 2022). Elles doivent ensuite impérativement adopter une posture et une pratique d’auto-disempowerment : en ce sens, il est essentiel qu’elles renoncent au surplus de privilèges que leur confère la neuronormativité, et ce, puisqu’un privilège qui n’est pas redistribué est conservé (Désormeaux-Moreau et Courcy, 2024).
Conclusion
En m’enracinant dans le croisement de mes savoirs expérientiels, professionnels et scientifiques — en tant que chercheur·e Autiste, j’ai exploré et exposé les tensions entre les savoirs sur l’autisme et les savoirs autistes, tout en discutant de leur ancrage (tout sauf objectif !) dans la neuronormativité. À cet égard, il convient de rappeler les conséquences néfastes des injustices herméneutiques, testimoniales et contributives qui affectent les a/Autistes dans leur capacité à connaître, à produire et à transmettre des savoirs. Les a/Autistes sont tout à fait capables de produire et de mobiliser des connaissances pour expliquer et discuter de leurs expériences, dans une compréhension alternative aux idées dominantes qui pathologisent et infériorisent leurs réalités. Cependant, les préjugés neuronormatifs qui structurent les systèmes dominants et les courants de production de connaissances, tendent à ignorer, à décrédibiliser ou à instrumentaliser les expériences et les perspectives des a/Autistes. Les concepts d’extractivisme épistémique et de Neurodiversity Lite sont utiles pour illustrer et dénoncer ces phénomènes.
J’affirmais, en introduction, que ma recherche est engagée et militante. Cette posture, qui s’oppose à l’idéologie dominante qui prône la neutralité et l’objectivité en recherche, suscite souvent la critique, comme c’est le cas au Québec (Canada) (Veilleux, 2023) où je vis et travaille. Or, toute démarche de recherche et tout rapport aux savoirs sont socialement et historiquement situés. Les miens le sont, tout comme ceux des personnes chercheuses qui appartiennent aux groupes dominants et qui prétendent faire de la recherche neutre, objective et impartiale.
Le rôle militant est un sujet assez peu abordé dans le contexte de la recherche francophone sur le handicap (Veilleux, 2023) — et encore moins dans le contexte de la recherche francophone sur l’autisme. Pourtant, l’adoption d’une posture militante s’avère utile (voire essentielle !) pour permettre une réévaluation critique de la pensée dominante en sciences sociales (Salomon Cavin et al., 2021), mais aussi plus largement. En cultivant une posture d’humilité épistémique et en adoptant, selon nos identités et nos positionnements respectifs, une posture engagée et militante, une posture d’auto-disempowerment, ou un croisement de ces postures, j’ai espoir que nous pourrons transformer les pratiques de recherche et de production des connaissances sur l’autisme ainsi que sur le vécu, l’expérience et les besoins des a/Autistes. Et j’ai espoir que, ce faisant, nous démantèlerons nos sociétés neuronormatives et co-construirons des espaces de partages et de savoirs qui favorisent leur émancipation et leur pleine inclusion.